Entretien avec Andrei Tchmil, dernier vainqueur belge de Milan-Sanremo

Pierre Ghislain
18/03/18 - 10h30

Depuis le 20 mars 1999 et cette victoire d'Andreï Tchmil, la Primavera se refuse systématiquement aux coureurs belges. © photonews.

Vincenzo Nibali a triomphé de bien jolie manière sur la Primavera samedi après-midi. Il faudra donc attendre un an de plus pour voir un Belge lever les bras sur la Via Roma. Le dernier des nôtres à avoir dompté Milan-Sanremo, c'est Andrei Tchmil, en 1999. Et l'ancien coureur belge n'a pas oublié le moindre détail de cette journée mémorable de sa carrière. Il a accepté d'y revenir pour 7sur7.be

"On ne peut pas oublier 25 ans de sa vie comme ça"

Après avoir été Ministre des Sports en Moldavie et manager général de la formation Katusha, Andrei Tchmil dirige désormais sa propre usine de production de vélo à Chisinau. "C'est important pour moi de faire quelque chose pour rendre le vélo plus populaire en Moldavie", sourit-il. "Ce sont des vélos de qualité, assez jolis, confortables et on les vend à prix démocratique", insiste l'ancien coureur professionnel.

Et si Tchmil n'a plus de rôle officiel dans le monde du cyclisme, il continue de suivre avec passion ce qu'il s'y passe. "Oui, je regarde encore les courses et j'ai gardé des contacts avec mes anciens collègues. On ne peut pas oublier 25 ans de sa vie comme ça..."

Sa victoire sur Milan-San Remo? "Un fabuleux souvenir!"

Mais Andrei Tchmil n'a surtout rien oublié du bon temps qu'il a passé sur la machine et de ses plus belles victoires. Lorsqu'on évoque avec lui sa victoire à Milan-Sanremo, le sympathique champion se montre, comme souvent, extrêmement volubile.

Et même 19 ans après, aucun détail ne lui échappe. "Milan-Sanremo? Un fabuleux souvenir évidemment", s'amuse-t-il. "C'était du travail bien fait. La tactique qu'on avait mise en place avec l'équipe a fonctionné à merveille." Neuvième sur la Via Roma en 1994, dixième en 1996 et encore cinquième un an plus tôt, Andrei Tchmil savait qu'il avait ce Monument du cyclisme dans les jambes en prenant le départ de la 'Classicissima' le 20 mars 1999. "Surtout que je venais de gagner Kuurne-Bruxelles-Kuurne et une étape à Paris-Nice, j'étais en pleine confiance."

Le plan initial ? Il était simple pour Tchmil. "Mais une course, ce n'est pas un livre. On ne peut pas prévoir à l'avance comment elle va se dérouler", rétorque-t-il. "Mon ambition était de sortir dans les derniers kilomètres. Mais avant ça, il a fallu rester vigilant pendant 290 kilomètres, ne pas gaspiller d'énergie inutilement." Ce qu'Andrei Tchmil et l'équipe Lotto sont parfaitement parvenus à réaliser. Et quand est venu le moment, le coureur belge a bondi. "J'ai d'abord contrôlé qui était dans mon dos", précise-t-il. "La première fois, c'était Erik Zabel, donc j'ai décidé d'attendre un peu. J'ai regardé une deuxième fois, ce n'était toujours pas le bon moment. Puis, il y a eu un petit ralentissement, peut-être deux kilomètres à l'heure, pas plus, mais j'ai senti qu'il fallait y aller et j'ai foncé..."

Le peloton n'a pu que constater les dégâts. Lancé à toute allure vers une seconde victoire dans un Monument, le leader de l'équipe Lotto n'allait plus se retourner avant de lever les bras sur la célèbre Via Roma, malgré un peloton emmené à toute allure par un certain Erik Zabel, vainqueur, à l'époque, des deux dernières éditions de la Primavera (et qui allait aussi remporter les deux suivantes...).

Une course qui se refuse aux Belges depuis 19 ans

Nibali était le plus malin samedi, la Belgique devra attendre un an de plus pour trouver un successeur à Andreï Tchmil © photo news.

On ne savait pas, à ce moment-là, qu'il allait falloir attendre très longtemps pour voir à nouveau un Belge remporter Milan-Sanremo, mais le résultat est là: 19 ans plus tard, la Belgique n'a pas encore trouvé de successeur à Andreï Tchmil. Tom Boonen, Philippe Gilbert et Greg Van Avermaet ont pourtant essayé, mais il s'y sont tous cassé les dents.

Pourquoi les Belges ont du mal à dompter cette course mythique? Andrei Tchmil a sa petite idée. "Mais je ne peux pas parler pour les autres", glisse-t-il. "C'est une course difficile à gagner et très nerveuse. Je pense aussi que les coureurs belges sont plus motivés et mieux préparés pour les courses flandriennes qui ont lieu un peu plus tard dans la saison. C'est peut-être une des explications. Et il faut aussi un peu de chance pour s'imposer là-bas".

Mais le natif de Khabarovsk ne croit pas qu'il faudra encore attendre 20 ans pour voir un Belge lever les bras à Sanremo. "Les Belges sont tout à fait capables de la gagner. Il y a assez de champions dans ce pays pour remporter la Primavera. Il y a beaucoup de paramètres qui rentrent en jeu, mais les capacités et les possibilités sont là, il reste juste à les exploiter au bon moment."

A cinquante mètres du maillot arc-en-ciel: "C'est le sport"

Si Tchmil a connu des grands moments, il a aussi connu plusieurs déceptions au cours de sa longuez et prolifique carrière. Comme ce championnat du monde à Plouay en 2000. Avec le maillot de l'équipe belge sur les épaules, il est passé à cinquante mètres de l'une des plus belles victoires de sa carrière. "Et le pire, c'est que la ligne avait été reculée de cinquante mètres par rapport à ce qui était prévu, donc sans ça, j'aurais peut-être gagné."

Comme souvent, le coureur belge avait faussé compagnie au peloton dans les derniers kilomètres de la course et comptait sur ses qualités de rouleur pour s'offrir le maillot arc-en-ciel. Mais deux hommes en ont décidé autrement. "Ce qui est dommage, c'est qu'un coureur lituanien ait fait le travail pour un Letton..." Raimondas Rumsas s'est en effet sacrifié dans la dernière ligne droite et ça avait profité à Romans Vainsteins. Mais la déception est aujourd'hui évacuée. "Si j'ai encore des regrets aujourd'hui? Non, c'est comme ça, c'est la course, c'est le sport", estime Andrei Tchmil, un brin philosophe.

"Il ne faut pas oublier que cette année-là, j'avais gagné le Tour des Flandres, une course mythique que j'ai chassée pendant toute ma carrière, j'avais donc réussi ma saison. Et l'année d'avant, Milan-Sanremo et la Coupe du monde. Ça ne sert à rien d'avoir des regrets..."