Jean-Michel Saive, en exclusivité depuis Tokyo: “On espère surtout que ce seront des Jeux uniques!”
Les Jeux de la XXXIIe olympiade s’ouvrent ce vendredi à Tokyo à 20h – 13h en Belgique – avec la cérémonie d’ouverture au Japan National Stadium. Avec un an de retard et dans une ambiance désolante, suite au huis clos décrété par les autorités en raison de la pandémie du Covid-19. Bref, le silence des anneaux pèsera des tonnes au Japon ces deux prochaines semaines. Cela n’empêchera pas la Belgique de se présenter avec sa plus grande délégation depuis 1952 et de saines ambitions. Team Belgium s’est déplacé avec 121 athlètes, répartis sur 25 sports différents, du cyclisme au skateboard, en passant par les disciplines phares de l’olympisme que sont l’athlétisme, la natation et la gymnastique. Avec un seul objectif, aller chercher la gloire, sous la forme d’une médaille ou d’une prestation étincelante. Présent sur place, l’ancien pongiste Jean-Michel Saive, septuple participant entre 1988 et 2012 (!), et aujourd’hui vice-président du COIB, préface pour 7sur7.be ces Jeux pas comme les autres.
Jean-Mi, les Jeux Olympiques s’ouvrent ce vendredi à Tokyo. À quoi vont-ils ressembler cette année ?
Ce seront des Jeux pour le moins particuliers, mais on espère surtout que ce seront des Jeux uniques ! Je pense que c’est quelque part une chance pour tous ces sportifs qu’à la fois le Comité d’organisation, le Japon et le CIO aient mis tout en œuvre pour qu’ils puissent avoir lieu, tout en préservant au maximum la santé de tout le monde, les organisateurs, les bénévoles et les athlètes. Toute une série de tâches administratives inhabituelles doivent bien entendu être effectuées et cela peut paraître très lourd, mais les Japonais sont très bien organisés et tout le monde respecte les règles.
Par rapport aux 70 à 75% d’athlètes pour qui une participation aux Jeux représente le rêve d’une vie, il était légitime de faire le maximum pour organiser l’événement.
Jean-Michel Saive
Plusieurs cas de Covid-19 ont malheureusement déjà été enregistrés au village olympique. Cela vous inquiète?
Ce n’est jamais gai, mais d’après les informations que j’ai reçues, ces athlètes sont isolés et pourraient encore s’entraîner individuellement. Ils ne seraient pas exclus des Jeux. La seule chose que je puis dire à ce sujet, c’est que toutes les mesures ont été prises par les organisateurs pour réduire les risques au maximum et réagir de manière appropriée en cas de problème. Moi-même, par exemple, je dois faire un test tous les jours, remplir des données dans l’application OCHA et attendre le feu vert pour quitter l’hôtel. Je n’aurai normalement pas le droit d’entrer au village olympique pour voir les athlètes, qui sont dans des bulles. Je ne pourrai aller qu’à notre camp de base à Mito et suivre les épreuves, où le nombre de places en tribune sera au demeurant très limité. Nous sommes donc tracés constamment et il n’y a pas moyen de passer entre les mailles du filet.
Quand on entend tout cela, Jean-Mi n’aurait-il pas mieux valu que les Jeux soient annulés? Car dans pareilles circonstances, ce ne sera gai pour personne. Ni pour les sportifs, ni pour les téléspectateurs.
Je comprends qu’on puisse avoir cette position, mais par rapport à ces 70 à 75% d’athlètes pour qui une participation aux Jeux représente le rêve d’une vie, il était légitime que le CIO, le Comité d’organisation et le Japon aient fait le maximum pour organiser l’événement. Et une fois que les Jeux seront ouverts, que les compétitions seront lancées et que les téléspectateurs verront les athlètes se transcender, des émotions sur les visages, le sentiment sera différent et je crois qu’il y aura de l’engouement. Les Japonais ont d’ailleurs préparé tout un programme d’ambiance dans les stades pour que les gens n’aient pas l’impression que ce soit désertique. Bref, pour moi, cela aurait été bien pire si les Jeux avaient dû être annulés, car le mouvement olympique véhicule de très belles valeurs. »
Que peut-on attendre de la part de Team Belgium à Tokyo?
Nous avons pour commencer une très forte délégation, la plus grande depuis les Jeux d’Helsinki en 1952, ce qui est génial. Ensuite, nous avons une belle répartition avec des sports individuels, des relais et des sports d’équipe. Je pense que tout cela renforce le moral, l’unité, que cela tire tout le monde vers le haut. Et puis, nous avons une multitude d’athlètes dans plein de disciplines différentes qui ont déjà montré par le passé être capables d’aller chercher les plus hautes places. C’est de bon augure.
Au sein du COIB, nous ne parlons jamais de médailles. La communication a toujours été Tokyo 2020, 20 Top 8. Et comme nous sommes en 2021, c’est devenu 21 Top 8.
Jean-Michel Saive
À Rio, en 2016, la délégation avait recueilli une belle moisson, avec 6 médailles, dont 2 en or grâce à Nafissatou Thiam et Greg Van Avermaet. Quel objectif s’est fixé le COIB au Japon?
Au sein du COIB, nous ne parlons jamais de médailles, mais bien de Top 8. La communication a toujours été ‘Tokyo 2020, 20 Top 8’. Et vu que nous sommes en 2021, c’est devenu 21 Top 8. (sourire) Tout en sachant qu’à partir du moment où un athlète se hisse dans le Top 8, il n’est pas loin d’arracher une médaille. Bref, si ce total est atteint, il semble évident que des médailles devraient suivre.
Où se situent nos meilleures chances?
On pense évidemment à Nafi à l’heptathlon, à Nina Derwael aux barres asymétriques, à Wout Van Aert qui a brillé sur le Tour de France et sera un atout tant pour la course en ligne que lors du contre-la-montre. Les hockeyeurs aussi et j’en passe d’autres comme les judokas, Emma Plasschaert en voile ou encore nos cavaliers. Ce sont peut-être des athlètes moins connus du grand public, mais qui ont aussi beaucoup de potentiel, et à qui les Jeux offrent une visibilité dont ils ne bénéficient pas en temps normal vu que leur sport n’est pas aussi médiatisé. Et puis, il y a toujours de belles surprises qui peuvent se produire.
Nafi Thiam, qui sera porte-drapeau, peut-elle réaliser le doublé après Rio?
Oui. En tout cas, jusqu’ici, Nafi a toujours démontré qu’elle était très forte. Cela risque d’être une belle bagarre avec Johnson-Thompson, mais elle s’est bien préparée et il y a donc toutes les raisons d’y croire. En tant que Belge et supporter, je suis dès lors confiant. J’en profite pour signaler qu’un changement de mentalité s’est opéré au sein du Team Belgium depuis quelque temps. Nous sommes dans une toute autre dynamique. On ne se dit plus ‘ce serait bien si’, mais on affiche clairement nos ambitions et on y va à fond pour les réaliser.
Le skateboard m’intrigue. Je suis curieux de voir tout ce que ces sportifs sont capables de faire sur une planche avec des roulettes.
Jean-Michel Saive
Quel sportif belge peut nous valoir une belle surprise?
Je n’ai pas envie de sortir quelqu’un du lot, car si j’en cite un, je devrais en citer 121. (sourire) Ce que je voudrais surtout dire, c’est que nos athlètes ont fait preuve depuis mars 2020 d’un courage et d’une résilience remarquables pour être à Tokyo. Beaucoup étaient déjà qualifiés et ont vu leurs espoirs de participation reportés, d’autres ont dû jongler avec de nouveaux calendriers et compétitions pour mériter leur place, mais personne n’a baissé les bras. Et tous feront le maximum pour tutoyer l’excellence. Après, ce qui fait la beauté du sport, c’est que rien n’est écrit et qu’il y aura des performances fantastiques, des résultats merveilleux, mais aussi de la tristesse et des déceptions.
Cinq nouveaux sports ont été ajoutés au programme olympique à Tokyo. Lequel vous intrigue le plus?
Je dirais sans doute le skateboard, car il est issu des ‘street sports’ aux États-Unis, ces disciplines sportives adaptées à l’environnement urbain. Et c’est un sport que l’on connaît peu, en tout cas bien moins que le baseball, le surf ou le karaté. Je suis curieux de voir tout ce que ces sportifs sont capables de faire sur une planche avec des roulettes.
Vous avez participé aux Jeux à sept reprises, de 1988 à Séoul à 2012 à Londres. Quel reste votre meilleur souvenir?
Avoir été porte-drapeau à Atlanta en 1996 et à Athènes en 2004. C’est un tel honneur.
Et votre plus grande déception?
D’avoir perdu aux portes du podium en quart de finale contre le Tchèque Korbel. J’ai bien pris ma revanche quatre ans plus tard à Sydney, mais c’était au premier tour. (sourire)
Quelle est la principale qualité dont il faut disposer pour espérer briller aux Jeux?
C’est une bonne question… Au final, je dirais sans doute le mental, qui plus est cette année, avec les conditions que l’on connaît. Ce n’est pas le cas au sein de notre délégation, mais si pas mal d’athlètes ont renoncé à se rendre à Tokyo, je pense que c’est justement pour éviter de devoir faire face à tous ces tracas. C’est le cas notamment en tennis, un sport dont je suis fan, et où de nombreux cadors (NdlR : Nadal, Federer, Halep, Serena Williams,…) ont renoncé. Et c’est vrai qu’individuellement, cela fait peur avant de venir, mais une fois que vous avez pris le train, vous n’y pensez plus trop car vous êtes surtout focalisé sur votre objectif sportif.
J’aimerais voir Simone Biles. Non seulement, c’est une gymnaste exceptionnelle, mais aussi une vraie icône. Et du coup, je serais aux premières loges pour soutenir Nina Derwael.
Jean-Michel Saive
Quelle est l’épreuve des Jeux que vous ne voudriez manquer pour rien au monde? La finale du 100 mètres en athlétisme?
« Non, même si quand j’étais gamin, à mes premiers Jeux à Séoul, j’adorais me rendre à la piste d’athlétisme voir les stars de l’époque s’entraîner. Là, je dirais une finale où il y a un Belge, une Belge ou une équipe belge qui la dispute. (sourire) »
Quel est le sportif ou la sportive que vous vous réjouissez de voir l’œuvre à Tokyo?
Il y en a un, c’est Nadal, mais il ne sera pas là. Je n’ai jamais eu l’occasion de le voir jouer en vrai et je suis défait qu’il ait renoncé. (sourire) J’avais vu Federer à Londres, mais lui, non. J’ai également eu la chance de voir Carl Lewis en 1992 à Barcelone. Ici, je dirais Simone Biles. Non seulement, c’est une gymnaste exceptionnelle, mais aussi une vraie icône. Et du coup, je serais aux premières loges pour soutenir Nina Derwael, que j’avais déjà suivie aux Jeux Européens à Minsk. C’est impressionnant!
Sans faire de l’ombre ni manquer de respect à qui que ce soit d’autre, quel est le sportif ou la sportive belge pour qui vous avez un petit faible?
Vous avez une autre question ? (sourire) Je ne sais pas, mais l’histoire de notre équipe masculine de basket 3x3 est belle. Des potes qui se sont associés il y a quelques années avec l’idée de s’amuser dans différents tournois et qui finissent par se retrouver aux Jeux. C’est pour le moins atypique. Je ne suis pas sûr qu’on les attendait à pareille fête, mais ils y sont parvenus et c’est formidable.
Il y a cent ans, enfin 101 ans exactement, les Jeux Olympiques se déroulaient à Anvers. En 2024, ils auront lieu à Paris, à un lancer de javelot de chez nous. Voir des Jeux organisés en Belgique, est-ce encore possible un jour?
En tout cas, ce ne sera pas pour tout de suite. Il faudrait une organisation à très, très long terme, car pour 2028, c’est déjà attribué à Los Angeles. Et pour 2032, il semblerait que Brisbane présente de sérieux arguments. Bref, on se retrouve déjà seize ans plus tard au minimum. Je me rappelle qu’à un moment donné, des discussions avaient eu lieu avec les Pays-Bas autour d’une candidature commune, mais les Jeux Olympiques sont un événement d’une telle dimension que ce n’est pas évident. On ne s’imagine pas tout ce que cela implique. Dès lors, peut-être que dans un premier temps, il faudrait se tourner vers les Jeux Européens. Cela me semble plus réaliste.
Dernière question: Team Belgium envisage-t-il de se mobiliser pour soutenir les victimes des terribles inondations qui ont frappé la Belgique la semaine dernière?
Une minute de silence a déjà été observée ce mardi, au village olympique et au camp de base à Mito, en hommage aux victimes de cette catastrophe. On ne peut pas rester insensible face à de tels événements. Certaines de mes connaissances ont tout perdu. Les parents de ma compagne ont aussi été impactés et se sont réfugiés dans le jardin à l’arrière lorsque la bourgmestre de Liège a décrété l’évacuation de la ville. J’ai vu des images et c’est affreux. Pour le reste, je ne sais pas s’il y aura encore une action précise du Team Belgium. Nous allons en parler avec Olav Spahl, le chef de mission. Mais en tout cas, j’espère que le comportement et les résultats de nos athlètes seront remarquables et que cela apportera un peu de baume au cœur à tous les sinistrés.