Affaire Mawda: dix et sept ans de prison requis contre les passeurs, du sursis pour le policier, le procès suspendu
Mise à jourLe procureur du roi, Christian Henry, a requis des peines lourdes contre les deux jeunes Irakiens poursuivis dans le cadre de l’affaire Mawda pour entrave méchante à la circulation, avec circonstance aggravante de décès, et rébellion armée. Le chauffeur présumé de la camionnette encourt dix ans, en état de récidive, et son convoyeur présumé sept ans de prison ferme. Après les plaidoiries de l’avocat du policier poursuivi et de l’avocat de l’État belge, le tribunal correctionnel de Mons a suspendu l’audience. Celle-ci reprendra le 10 décembre avec les plaidoiries des avocats des deux détenus.
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La nuit du 16 au 17 mai 2018, un véhicule transportant des migrants s’est immobilisé sur un parking autoroutier à Maisières, près de Mons, après avoir été visé par un coup de feu, fatal pour une petite Kurde âgée de deux ans.
Vingt-sept personnes se trouvaient dans la camionnette qui prenait la direction de la côte d’Opale, venant de Liège. Parmi eux, il y avait les deux jeunes Irakiens poursuivis devant le tribunal correctionnel de Mons, dans le cadre de l’affaire Mawda, pour entrave méchante à la circulation et rébellion armée. Ces deux hommes, âgés de 27 et 20 ans, utilisaient différentes identités. Ils contestent être des passeurs de migrants.
Pour le ministère public, le rôle de chacun des deux hommes est parfaitement établi. “Le premier conduisait cette camionnette et l’autre était son convoyeur, lui donnant des ordres de ne pas s’arrêter durant la course-poursuite qui a duré trente-sept minutes. Leur comportement a été fatal pour la pauvre Mawda.” Ils sont donc coupables des deux préventions, estime l’accusation, en qualité de co-auteurs.
Un an de sursis requis contre le policier
Une peine d’un an de prison avec sursis a été requise contre le policier auteur du coup de feu qui a causé la mort de la jeune Mawda en 2018. Selon l’accusation, l’homme poursuivi pour homicide involontaire avait reçu toutes les informations indiquant que des migrants, dont des enfants, se trouvaient dans la camionnette qui circulait sur l’E42. Lundi, le policier a déclaré qu’il n’avait pas reçu les bonnes informations car il n’avait pas sa radio. Il pensait poursuivre des individus qui venaient de commettre un vol cargo sur un parking dans la région de Namur.
Pour l’avocat général, le dossier démontre que l’échange d’informations entre services de police n’a pas été optimal cette nuit-là. “Il aurait fallu communiquer sur une même fréquence, ce qui fut impossible pour diverses raisons techniques.” Les informations sont passées par un intermédiaire entre les équipes de Namur et de Mons, entraînant un risque de perte d’informations et de désinformation, comme l’a relevé le Comité P (comité permanent de contrôle des services de police) dans son rapport.
L’avocat général Ingrid Godart a néanmoins souligné que l’équipe de police de Namur a indiqué à celle de Mons que des migrants se trouvaient dans le véhicule et que “des enfants avaient été exhibés en dehors de la camionnette”. Selon l’accusation, le policier poursuivi devait donc savoir qu’au moins un enfant s’y trouvait. “A aucun moment son collègue lui a demandé de faire usage de son arme mais seulement de la montrer pour inciter le chauffeur de la camionnette à ralentir”, a-t-elle ajouté.
À ses yeux, un tir sur un véhicule en mouvement, la nuit, était fortement déconseillé. “Aucun autre policier, placé dans des conditions identiques, n’aurait adopté une telle attitude et, d’ailleurs, aucun autre policier n’a fait usage de son arme cette nuit-là.”
“Pas un tireur aguerri”
De plus, le policier n’était pas un tireur aguerri et ne s’était plus entraîné au tir depuis deux mois. “Il n’a pas parlé de ce tir immédiatement et c’est son collègue qui en a parlé au policier namurois. Il s’agissait pourtant d’un élément capital pour la suite de l’enquête. Rien ne justifiait le retard de cette information”, a poursuivi l’avocat général.
La magistrate a ajouté refuser de privilégier une version et préférer se référer aux éléments objectifs du dossier répressif. “Un tir par crispation ou par réflexe semble compatible avec les éléments qui ont été analysés”.
Concernant la qualification des faits, Ingrid Godart estime qu’il s’agit d’un homicide involontaire par défaut de prévoyance ou de précaution. “Aucun élément dans ce dossier ne constitue un élément de preuve selon lequel le policier aurait voulu attenter à la vie d’autrui. Je ne peux pas démontrer qu’il était animé de l’intention de tuer ou qu’il avait consciemment accepté ce risque”.
Une peine d’un an avec sursis et une amende ont été réclamées contre le policier. L’accusation a par ailleurs relevé le comportement du policier qui a d’abord caché être l’auteur du coup de feu mortel et sa volonté d’être acquitté qui démontre un défaut de remise en question.
“Il tente de faire porter le chapeau à tout le monde, sauf à lui. C’est un manque de dignité que je déplore. En tant que policier, il lui appartient de se montrer digne de la hauteur des responsabilités qui sont les siennes”, a conclu l’avocat général.
L’épouse du policier demande pardon
L’avocat du policier a lu une lettre écrite par l’épouse de son client, au début de sa plaidoirie. “Pardon pour l’acte posé par mon mari. Pardon pour la façon dont vous avez été traité dans notre pays. Pardon pour le manque d’humanité que vous avez rencontré parce que vous n’avez pas les bons papiers”, écrit cette dame qui a été choquée par le manque d’humanité envers ces gens.
Elle a souhaité leur parler de son mari qui aurait pu être leur ami, sans ce drame. “Nous nous connaissons depuis trente ans et vingt-neuf ans de vie commune. C’était un homme heureux, joyeux, le premier à inviter des amis de tout horizon, de toute nationalité. Il aimait son travail au sein de la police de la route. Il avait envie de vivre et nous avions tout pour être heureux jusqu’à ce jour où tout s’effondre comme un jeu de cartes.”
Depuis, le couple soigne les apparences en société mais souffre en silence. “Nous ne sommes que tristesse. Dormir, que veut dire ce mot? Nos nuits sont trop courtes. Entre les idées noires, les séances de psy, il essaye de se reconstruire jour après jour.”
Cette dame, d’origine algérienne par son père, est dégoutée d’entendre que son mari, lui aussi issu de l’immigration, soit qualifié de raciste. “Nous ne savons plus comment vivre.”
Selon cette femme, son mari était stressé lors de cette course-poursuite. “Chacun a vu les choses sous un angle différent”, a-t-elle écrit. “Quand j’entends des mensonges proférés à tour de bras contre mon mari, je dis non” avant de conclure: “Dans cette affaire, il n’y a que des perdants, vous qui avez perdu votre enfant, nous qui avons perdu l’homme qu’il était à l’époque. Depuis ce jour, il est prisonnier dans sa tête et nous l’accompagnons.”
“Le chauffeur responsable”
Me Laurent Kennes, avocat du policier poursuivi pour l’homicide involontaire de la petite Mawda, a été le premier à plaider pour la défense, mardi après-midi. Me Kennes estime que le responsable du drame est le chauffeur de la camionnette, pas le policier. Il a plaidé la suspension du prononcé de la condamnation, à défaut d’un acquittement.
L’avocat est revenu sur la première déclaration de son client devant le comité P. Ce dernier a déclaré qu’il pensait que cette camionnette était conduite par des voleurs et qu’il voulait provoquer une crevaison lente en tirant dans le pneu, incitant ainsi le fuyard à s’arrêter.
Me Kennes a remis la transmission d’informations dans le contexte de la course-poursuite. “Les gens du dispatching discutaient avec le collègue de mon client, lequel n’avait pas une radio de voiture mais un talkie-walkie dont la qualité auditive est différente”.
Lundi, un avocat des parties civiles a déclaré que le policier était “habitué” à chasser les migrants depuis le lancement des opérations Médusa et qu’il avait “raté” un véhicule chargé de migrants dans la journée. Me Kennes ne sait pas où sa consœur a lu ça. “Elle n’a lu qu’une partie de la retranscription”, affirme Me Kennes.
Mardi, l’avocat général a regretté que le policier n’ait pas parlé tout de suite du coup de feu. Me Kennes répond que son client en a parlé vers 2h30 au plus tard, cette nuit-là, à son collègue. “Il n’a pas volontairement caché avoir tiré. Dire l’inverse, en audience publique, est faux!”
L’avocat dit avoir été surpris d’entendre les parties civiles plaider une requalification des faits pour les deux détenus, estimant que seul le policier était responsable. “Ces gens sont des trafiquants d’êtres humains! Qui met tout le monde en danger pour ne pas se faire arrêter? C’est le conducteur de la camionnette, pas mon client”.
Il ajoute qu’un policier namurois s’est constitué partie civile car il a été choqué par les faits, alors que c’est un homme qui a plus d’expérience que son client. L’avocat estime que le véritable responsable de ce drame n’est pas son client mais le chauffeur de la camionnette transportant les migrants.
“Un homme, présent dans cette camionnette, a déclaré que le chauffeur avait accéléré et continué à faire des zig-zags sur la route. Il a aussi dit qu’un enfant a été porté vers l’avant, qui criait car il était paniqué. D’ailleurs, nous paniquions tous à cause de la conduite du chauffeur”.
D’autres témoignages vont dans le même sens: “Nous avions plus peur de la manière de conduire du chauffeur que de la police”. “On demandait au chauffeur de s’arrêter car on avait tous peur de mourir. On hurlait, on voulait qu’il s’arrête, il ne répondait pas malgré le fait que tout le monde criait sur lui”. “Pour moi, le chauffeur mérite une punition pour ce qu’il a fait”.
Quant à l’avocat général, il estime indigne de réclamer l’acquittement. “C’était ma crainte, le ministère public est aveuglé par la souffrance de cette famille et n’a pas pris assez de recul”, s’emballe Me Kennes qui refuse de faire de ce procès, un procès politique.
L’avocat pénaliste a aussi contesté la théorie du dol éventuel, plaidé par les parties civiles, précisant que la cour de cassation avait rendu un arrêt sur la question en 2019. “Il est certain que le tir est accidentel et qu’il n’y a pas de défaut de prévoyance et de précaution”.
Me Kennes s’attendait aussi à un débat sur la formation des policiers. “Il a bien suivi le quota minimum de formation au tir et n’a pas dû suivre de formation spécifique. Il était en ordre, contrairement à ce qu’a dit l’accusation”. Le policier dit ne pas avoir suivi de recyclage depuis 2009, on lui avait alors enseigné comment ralentir une voiture en tirant dans un pneu.
Depuis les faits, le policier a fait l’objet d’un suivi psychiatrique. Il a été en incapacité de travail durant un an et demi. Il a repris le travail dans un bureau, “repartir sur la route est impossible pour lui”.
Le procès suspendu, reprise le 10 décembre
Après Me Kennes, Me Ferron a pris la parole au nom de l’État belge, employeur du policier. Selon les parties civiles, l’État est engagé sur base de la convention européenne des droits de l’homme dans ce drame. Cependant, l’État intervient dans ce procès, non pas comme partie prévenue, mais parce qu’il est civilement responsable du policier, peu importe la qualification pénale qui sera retenue contre le policier. “L’État interviendra de toute façon pour dédommager les parties civiles si le policier est condamné”, a déclaré l’avocat.
Le procès a été postposé au jeudi 10 décembre.
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