Amputé des deux jambes après une morsure de chien, Benoit vit un enfer depuis près de deux mois
En avril dernier, Benoit Franck a été amputé des deux jambes à la suite d’une morsure de chien tout à fait banale. Le problème, c’est que le quinquagénaire souffrirait d’une maladie orpheline le rendant allergique à une bactérie présente chez les animaux, pourtant inoffensive pour l’homme. Après un séjour de plusieurs mois dans un centre de réadaptation où il a eu accès aux meilleures technologies, tout lui a été retiré. À présent, il passe la plupart de ses journées assis dans un fauteuil roulant. Il réclame de la mutuelle qu’elle intervienne dans l’achat de prothèses électroniques qui lui permettraient de marcher sans crainte des chutes, mais celle-ci refuse d’accéder à sa demande. Une situation qui excède Benoit, tout comme son ex-femme, qui s’occupe de lui au quotidien et parle de “non-assistance à personne en danger”.
Sarah Moran GarciaDernière mise à jour:10-11-21, 14:36
Le 2 avril 2021, Benoit Franck fêtait son 58e anniversaire à Lasne, chez son ex-compagne avec qui il garde de très bons contacts. À son arrivée, les deux teckels de Claudine étaient très heureux de voir Benoit. L’un, le père, s’est assis près de lui. Mais l’autre, le fils, est devenu un peu jaloux, “comme ça lui arrive souvent”, commente Benoit. Ils se sont mis à se chamailler. Le quinquagénaire a voulu les séparer, mais a été mordu au pouce par l’un des deux chiens.
“La morsure n’était pas très importante, tout au plus de la taille d’une tête d’épingle”, se souvient Claudine. “Comme mes chiens sont vaccinés, on ne s’est pas inquiété. On a juste mis un peu d’Isobétadine et on a poursuivi la soirée.”
Jambes mauves et plaques dans le dos
Mais le lendemain, ça a mal tourné. Benoit a commencé à avoir de la fièvre, a perdu l’appétit et ne parvenait plus à dormir. Immédiatement, les exs ont pensé au Covid. Le lundi suivant, Claudine a appelé Benoit. Au bout du fil, c’était à un homme dans un état second qui lui a répondu. Elle s’est alors précipitée chez lui.
“Ses jambes étaient devenues mauve foncé et il ne pouvait plus poser ses pieds par terre. Il grelottait, alors je suis allée prendre une couverture pour le réchauffer. Au moment de le déshabiller, j’ai vu des plaques, comme des hématomes, apparaître dans son dos”, raconte-t-elle. “J’ai hurlé de toutes mes forces, je ne comprenais pas ce qu’il se passait. La voisine, qui m’a entendue, a déboulé chez moi. Quand elle a compris, on a appelé les urgences.”
L’intervention des ambulanciers laisse un léger goût amer à Claudine, car l’un d’eux lui a demandé si elle frappait son mari.
Ses pieds étaient ceux d’un cadavre; attachés au corps d'un homme vivant.
Claudine
Maladie orpheline
Plusieurs médecins se sont succédés au chevet de Benoit sans comprendre de quels maux il souffrait. Selon Claudine, ses chances de passer la nuit étaient très faibles, 20% tout au plus. Le lendemain matin, elle a reçu un appel de l’hôpital. Benoit tentait de communiquer. Il murmurait sans cesse le son “ien”, mais les médecins ne parvenaient pas à le comprendre. C’est Claudine qui leur a donné la clef de l’énigme. “Ien” voulait en fait dire “chien”, comme ceux qu’elle possédait, comme celui qui avait mordu Benoit quelques jours auparavant.
Selon l’homme, il serait atteint d’une maladie orpheline qui le rend allergique aux morsures et aux griffures d’animaux. Cela, il l’a découvert à 58 ans seulement, puisque jamais auparavant il n’avait été mordu ou griffé par un animal. Il n’avait pas conscience de sa condition. “Tous les animaux ont une bactérie qui les protège et qui n’est normalement pas transmissible à l’homme, mais pour moi, elle a failli être mortelle”, indique-t-il.
Durant une semaine, Benoit est resté aux soins intensifs à la clinique Saint-Pierre, à Ottignies. Ensuite, il a été placé dans une chambre où il pouvait recevoir la visite de ses proches. “J’ai menti en disant que j’étais encore sa femme. Il fallait que je le voie, que je sache comment il allait. Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu”, sanglote Claudine. “Benoit était là, allongé sur son lit d’hôpital, les jambes bandées, mais les pieds apparents. Ses pieds étaient ceux d’un cadavre, attachés au corps d’un homme vivant.”
J’étais sur la table d’opération, le chirurgien m’a regardé droit dans les yeux et m’a demandé: ‘Alors, on y va ou on n’y va pas?’
Benoit Franck
Amputation et réadaptation
Le quinquagénaire a finalement été amputé à la mi-avril. Le chirurgien avait prévu de procéder à l’amputation d’une jambe à la fois, mais a finalement décidé de couper les deux d’un coup. Bien qu’il fût très souvent dans les vapes, Benoit se souvient de ce jour comme si c’était hier: “J’étais sur la table d’opération, le chirurgien m’a regardé droit dans les yeux et m’a demandé: ‘Alors, on y va ou on n’y va pas?’. Ce à quoi je lui ai répondu que c’était bon.” Sa jambe droite a été amputée à la mi-cuisse, tandis que la gauche l’a été jusqu’en dessous du genou.
Ensuite, l’homme a été transféré au centre de réadaptation du Bois de la Pierre, à Wavre, où il est resté de la fin avril jusqu’au 20 septembre. Là, il a appris à marcher avec des prothèses. D’abord des mécaniques faites sur-mesure, avec lesquelles il avait beaucoup de mal à marcher, ensuite des prothèses électroniques. “Celle-ci permettait de bloquer mon genou et m’évitait de tomber, ce qui était déjà arrivé avec les prothèses normales”, commente-t-il. Un fauteuil roulant spécialement adapté lui avait aussi été prêté.
(Poursuivre l’article sous la vidéo)
Tout se déroulait bien pour Benoit, qui envisageait de retourner chez lui. Mais au moment de quitter le centre de réadaptation, les prothèses de jambes électroniques lui ont été retirées, tout comme le fauteuil roulant qui a été remplacé par un autre bien plus lourd.
Pour une reconnaissance de sa situation
Depuis, pour Benoit et Claudine, qui l’accompagne dans toutes ses démarches, c’est un combat de tous les jours. Tout d’abord, il a fallu que le quinquagénaire trouve une nouvelle maison, celle d’Uccle, où il vivait jusqu’alors, n’était pas du tout adaptée à son handicap. Il en a trouvé une à Gosselies, où son ex-compagne a également emménagé avec ses deux chiens. “Car il ne peut plus vivre seul”, commente-t-elle.
Ce premier problème a vite trouvé une solution, mais ce n’est pas le seul que rencontre Benoit. En effet, malgré ses nombreuses demandes, sa mutuelle refuse d’intervenir dans l’acquisition de prothèses électroniques. “Selon elle, le médecin-conseil a jugé que je n’étais pas apte à les utiliser. Or, j’ai fait toutes les évaluations nécessaires et, lorsque j’étais au Bois de la Pierre, je les ai maîtrisées en huit jours à peine”, réfute-t-il. “Ce qui m’énerve le plus, c’est que ce médecin-conseil ne m’a même jamais vu.” Les demandes de la société qui fabrique les prothèses auraient, elles aussi, été refusées.
Bien d’autres personnes qui ont été amputées se retrouvent dans la même situation que moi. Ça n’a que trop duré, il faut que les choses changent.
Benoit Franck
“À force de rester assis toute la journée, de crainte de tomber avec ses prothèses archaïques, Benoit attrape des sortes de cloches aux fesses. C’est très désagréable pour lui”, indique Claudine. “En plus, je commence à avoir des blessures au niveau de la jambe gauche lorsque j’utilise ma prothèse. Ce qui n’était jamais arrivé lorsque j’étais au centre de réadaptation. Pourtant, je suis obligé de les utiliser pour m’entretenir et continuer à marcher”, ajoute le quinquagénaire.
Appel à un avocat
Pour Claudine, le manque d’aide de la part de la mutuelle à l’égard de son ex-mari est tout simplement de la “non-assistance à personne en danger”. Si rien ne bouge rapidement, Benoit envisage de contacter un avocat. “Bien d’autres personnes qui ont été amputées se retrouvent dans la même situation que moi. Ça n’a que trop duré, il faut que les choses changent”, clame-t-il.
Malgré ses mésaventures, Benoit ne regrette pas d’avoir accepté qu’on lui ampute les jambes: “Je n’avais pas le choix. Même si la situation actuelle est très compliquée, j’ai pris la bonne décision. Sans cette opération, je ne serais plus là pour en parler.” Il n’a absolument aucune animosité envers les teckels de son ex-compagne. “Ce n’est pas leur faute. Ça aurait pu arriver plus tard à cause d’un autre animal.”