“Beaucoup de personnes LGBTQI+ quittent Charleroi pour Liège ou Bruxelles”
EnquêteLe lundi 17 mai était placé sous le signe de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie. La Ville de Charleroi a profité de l’occasion pour lancer diverses initiatives afin d’améliorer la sécurité et la visibilité de la communauté Lesbienne-Gay-Bisexuel-Transgenre-Queer-Intersexe et toutes les autres identités de genre ou orientations sexuelles (LGBTQI+). Mais quelle est la situation au Pays Noir? Tour d’horizon.
La Maison Arc-en-Ciel (MAC) à Charleroi ne se cache pas des regards. Certes, elle se situe dans une rue qui n’est pas des plus fréquentées. Tout près de la plateforme culturelle, le Vecteur. Mais elle arbore fièrement ses couleurs vers l’extérieur. L’arc-en-ciel est partout sur les vitrines. À l’intérieur aussi.
Ce lundi 17 mai, l’atmosphère est détendue. La conférence de presse convoquée par la Ville de Charleroi ne stresse pas grand-monde parmi les habitué(e)s. Covid-19 oblige, la porte est laissée ouverte pour aérer la pièce. Caileam (27 ans) est le responsable des permanences à la MAC. Il est ravi des projets lancés par les autorités communales en faveur de la communauté LGBTQI+: “Ce n’est pas comme ça dans toutes les villes”.
Comparaison
Lui-même provient de Liège. Il est donc bien placé pour comparer les deux plus grandes cités wallonnes: “Je me sens vraiment bien à Charleroi. La situation pour les LGBTQI+ n’est vraiment pas pire ici que dans la Cité Ardente. Mais j’ai quand même noté une différence. Les gens concernés dans la région sont souvent isolés. Nous rencontrons beaucoup de personnes qui ont rompu leurs liens avec leur famille. Elles manquent de liens sociaux et aussi d’endroits où faire la fête”.
Par conséquent, certains ont des envies d’ailleurs: “De nombreuses personnes LGBTQI+ partent s’installer à Liège ou à Bruxelles. Pourquoi? Je crois que le côté festif de ces deux villes ont une influence considérable. À Charleroi, il reste seulement un ou deux bars étiquetés LGBTQI+. Ce n’est pas grand-chose. À Liège ou à Bruxelles, il y en a partout. Dans la capitale, il y a même un quartier complètement voué à la communauté. Mais petit à petit, ça se réveille. Nous partons de loin. À Liège, de nombreux bénévoles viennent aider la Maison Arc-en-Ciel locale. Dans le Hainaut, ils se comptent sur les doigts d'une main”.
Réserver un petit coin de ville à la communauté LGBTQI+ n’est cependant pas dans les cartons de la Ville de Charleroi. “Cela signifierait l’exclusion d’autres communautés” explique l’Échevine de l’Égalité des Chances, Françoise Daspremont (PS). “Le principe de l’inclusion m’est chère. Mon précepte est d'ouvrir les frontières et de rassembler tout le monde. Tout un chacun a sa place dans notre société”.
Entretiens psychosociaux
Il y a toutefois encore du pain sur la planche. “Notre association accueille des citoyennes ou citoyens lors d’entretiens psychosociaux, d’animations, de projets... En 2020, 171 personnes ont eu besoin de notre soutien. Certaines nous demandent comment elles peuvent annoncer leur coming-out. Ce qui est quand même aberrant! Les violences conjugales et les agressions en rue sont les deux autres thèmes qui sont le plus abordés” nous raconte le responsable des permanences à la MAC.
Procès-verbaux
Le policier de référence “Discriminations et délits de haine” à Charleroi, David Quinaux, confirme la tendance: “Sur les quatre dernières années, le nombre de procès-verbaux pour discrimination ou délit de haine a doublé tous les 12 mois”.
De 18 faits comptabilisés en 2014, la police de Charleroi en a dénombré 115 en 2020: “Et pour le premier trimestre de 2021, nous en sommes déjà à 34 faits”.
Les périodes de confinement dues au coronavirus ont eu une influence sur ces derniers chiffres: “Avant, un tiers des faits enregistrés pour discrimination ou délit de haine concernait la communauté LGBTQI+. Pendant le confinement, ce n’était plus un tiers, mais deux tiers des faits. Il y a notamment eu davantage de dénonciations pour des propos offensants tenus sur les réseaux sociaux”.
Unia
Le service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances, Unia, a aussi des statistiques à présenter. Son point contact dans le Hainaut, Marie Luisi, nous en parle: “Nous avons totalisé 406 signalements de discriminations en 2020. Nous avons établi un malheureux Top 3 quant aux endroits où ces discriminations ont été observées. La première marche du podium est occupée par des actes qui se sont déroulés dans la vie en société. Il s’agit de manifestations de haine ou de crimes de haine dans l’espace public. Le deuxième lieu le plus problématique est celui du monde du travail. En troisième position, nous retrouvons les médias ainsi que les biens et services”.
Quelques expériences de vie dans la région carolo lui viennent à l’esprit. Elles sont interpellantes: “Plusieurs cas de harcèlement dans l’environnement professionnel nous ont été relatés. Par exemple, un travailleur n’a plus eu accès aux vestiaires à partir du moment où ses collègues ont appris qu’il était homosexuel. Il retrouvait sur ses armoires des messages dans lesquels il se faisait traiter de ‘Sale pédé’. Son travail était également saboté. Autre exemple similaire au sujet d’une aide-soignante. Elle ne pouvait pas non plus rentrer dans les vestiaires. Ses collaboratrices lui interdisaient aussi de se rendre dans les toilettes des femmes. Elles lui disaient d’aller du côté des hommes”.
S’afficher en multicolore
Le temps est venu d’aller inaugurer le premier passage pour piétons arc-en-ciel de la ville sambrienne. Tout le monde s’active. Les discussions vont bon train. Il faut reconnaître que la plupart des intervenants se connaissent. Un bénévole de la MAC porte une perruque, un masque et un drapeau multicolores. Il tient en main un fanion aux mêmes tons. Bien entouré, il n’a pas peur de s'afficher. Qui plus est, il n’y a que quelques mètres à parcourir pour arriver à destination.
Une fois sur place, les édiles communaux et autres personnes impliqués dans le projet font la pose. Ils traversent, retraversent et “reretraversent” ce fameux passage clouté qui égaie désormais le Boulevard Tirou. Les photos sont prises pour illustrer les articles de presse. Parfois, les automobilistes doivent patienter. La curiosité se lit sur leur visage. Mais en aucun cas, des signes d’énervement ou de désapprobation sont émis. Pas un seul coup de klaxon! “C’est normal, ils me reconnaissent” plaisante le policier de référence “Discriminations et délits de haine” à Charleroi même si parfois, c’est bel et bien le cas.
Relation maternelle
De retour en petit comité à la MAC, Caileam accepte de s’ouvrir à nous. Fille de naissance, il est maintenant un homme: “Je suis en cours de transition”.
Tout au long de sa vie, il s’est heurté à des obstacles à cause de sa nouvelle orientation. “Mais je ne suis pas à plaindre. J’ai plutôt été épargné” déclare-t-il. “Bien d’autres personnes doivent surmonter des difficultés pires que celles que j’ai connues”.
Tout de même, sa relation avec sa mère en a été perturbée: “Cela a été compliqué avec ma famille après mon coming out. Ma maman avait peur. Elle se demandait quelle vie j’allais avoir. Elle n’a pas compris la raison de mon annonce. Elle se sentait très coupable. Pourtant, mon identité n’a rien à voir avec l’éducation que j’ai reçue. J’ai mis ma maman devant le fait accompli: soit elle l’acceptait, soit nous ne nous parlions plus.
J’ai tout autant le droit d’être heureux que n’importe qui d’autre
J’ai tout autant le droit d’être heureux que n’importe qui d’autre. Les ponts entre elle et moi ont été coupés pendant un mois et demi. C’est vrai que certains vivent cachés par peur d’être éloignés de leurs proches. C’est parfois plus confortable. Moi, j’ai choisi de jouer la carte de la transparence. Je me sens plus épanoui grâce à cela. Je suis un homme transgenre, bisexuel et je l’assume”.
Aujourd’hui, tout s’est heureusement arrangé avec sa génitrice: “Elle a repris contact avec moi et tout se passe bien maintenant”.
A l’université
Des soucis, Caileam n’en a cependant pas connus que dans la sphère privée. Lors de ses études en criminologie à l’Université de Liège (ULiège), cela n’a pas non plus été simple à gérer: “J’ai été victime de discrimination. Parfois même de la part de profs!”
C’est surtout un professeur “assez haut placé” qui l’a contrarié: “Quand il a su que j’étais transgenre, il s’est mis à s’adresser à moi en ponctuant chacune de ses phrases par ‘Mademoiselle’”.
Lors d’un examen oral, il a justifié sa cotation de manière étrange: “Il m’a donné un 10 sur 20. Il a ensuite ajouté qu’il m’avait donné cette note parce qu’il ne savait pas comment j’aurais pu faire mieux”.
Elle n’a jamais dénoncé les faits. Pourtant, l’ULiège a pris des dispositions depuis la rentrée scolaire 2017-2018 pour les étudiant(e)s trangenres. Il leur est permis d’utiliser leur prénom social au sein de l’institution et sur leur carte d’étudiant. La mention "sexe” y a été masquée afin de leur permettre de s’inscrire et poursuivre leur parcours dans la discrétion. Une personne-contact a même été désignée pour toute question et/ou difficulté rencontrée.
“J’ai préféré prendre sur moi” explique Caileam. “C’était l’année de mon mémoire. J’étais en plein stress. Le plus important pour moi était de sortir de là-bas le plus vite possible”.
Orientation professionnelle
Son mémoire avait pour sujet la transphobie en milieu scolaire. Notre interlocuteur a finalement obtenu son Master. Ce qui l’a conduit à la Maison Arc-en-Ciel à Charleroi: “Lors de mes études en criminologie, j’avais effectué un stage à Arc-en-Ciel Wallonie (NDLR. la Fédération des Maisons Arc-en-Ciel et des associations LGBTI wallonnes). J’ai senti que je me trouvais exactement là où je devais me trouver. Avant cela, j’avais déjà réalisé deux stages lors de mon bachelier en Assistant Social dans une Haute École à Liège.
L’un s’était déroulé dans un Centre de Planning Familial. J’adorais accompagner les personnes sur le chemin de leur plénitude. L’autre a eu lieu au GrIS (NDLR. Groupe d’Intervention Scolaire) Wallonie-Bruxelles. Cela me permettait d’aborder la question de l’identité de genre. Chez Arc-en-Ciel Wallonie, je combine ces deux aspects et cela me comble”.
Collectif carolo
Il n’a donc pas hésité une seconde lorsqu’une offre d’emploi est apparue à la MAC à Charleroi. Au Pays Noir, des collaborations se sont dessinées au fil du temps: avec des associations, avec la Ville de Charleroi, avec la Zone de Police (ZP) de Charleroi... “Honnêtement, ces coopérations se développent de manière exceptionnelle. C’est vraiment rare d’avoir une telle symbiose dans une ville”.
Ces échanges amènent chacun à évoluer. En plus de récolter des signalements, Unia veille, par exemple, à la prévention des problèmes qui peuvent se présenter. “Nous sensibilisons et nous formons les professionnels” spécifie Marie Luisi.
Police inclusive
A la ZP de Charleroi, de multiples démarches ont été entreprises pour s’adapter à la problématique de l’identité de genre et de la disposition sexuelle.
Tout d’abord, un agent de référence “Discriminations et délits de haine” a été désigné: “Mon rôle est notamment de former et de sensibiliser les policiers ou aspirants policiers à la problématique de la discrimination et des délits de haine”.
Ensuite, chaque poste de police sur le territoire de Charleroi dispose d’un policier-relais qui s’occupe de cette matière: “Certains sont eux-mêmes LGBTQI+”.
Pourquoi dès lors le nombre de Procès-Verbaux (PV) pour ce type de délits est-il en augmentation constante? “Personnellement, je ne le prends pas négativement” commente David Quinaux. “C’est même, selon moi, une excellente nouvelle. Cela signifie que la population hésite moins à venir porter plainte. Parfois, ce sont des dénonciations ou des constats de la part des policiers eux-mêmes qui aboutissent à ces PV”.
Phobie policière
Eric, lui, n’a pas déposé plainte auprès des forces de l’ordre. Le vendredi 11 décembre 2020, il avait reçu un coup de poing en plein visage en même temps que des insultes homophobes dans le centre de Charleroi.
“Je ne crois plus en la police. J’ai une peur phobique des policiers” nous avait-il dit à l’époque. “Par le passé, quand j’ai eu besoin d’eux, quand mon ex-compagnon me frappait, ils ont eu tendance à ne jamais se soucier que je sois victime de violence conjugale. Il y a autant d’homophobie dans les rues que dans les commissariats.”
Et il avait même cité quelques exemples du traitement qu’il a eu à subir dans différents postes de police carolos: “Quand vous vous présentez à l’accueil et que vous expliquez votre cas, on vous dit: ‘Ah! Encore une histoire de pédés!’ Ou quand vous avez été battu et que la police doit constater les coups, faire des photos des hématomes, elle vous dit ‘Ça arrive chez les gens normaux aussi.’ Ou bien, quand un policier vous prend par la joue et vous dit que vous avez une jolie petite gueule de pédé alors que vous avez été tabassé.
Le Comité P m’a fait comprendre que si je déposais une plainte contre la police, plus personne n’interviendrait pour m’aider
La liste est longue. J’ai même contacté le comité P (NDLR. Le comité Permanent de contrôle des services de police) une fois. Il m’a fait comprendre que si je déposais une plainte contre la police, plus personne n’interviendrait pour m’aider... Donc fatalement, difficile de croire en la police par après.” Notre interlocuteur a précisé que ces événements s’étaient déroulés entre 2011 et 2017.
La police carolorégienne, elle, a adopté ses premières mesures contre toutes les formes de discrimination en 2014.
Justice
David Quinaux insiste également sur la mission remplie par la justice dans la ville sambrienne: “Il existe un magistrat de référence à Charleroi qui traite de toutes ces questions”.
Marie Luisi d’Unia ajoute: “Nous constatons que les faits traduits devant la justice sont très souvent sanctionnés d’une condamnation. C’est important de le souligner”.
Formation
A ce jour, 367 policiers carolos ont été préparés aux questions de discrimination lors de la rédaction des PV.
149 ont suivi une formation continuée intitulée “Aspects pratiques de la Loi sur la Fonction de Police dans le respect des droits et libertés humains”. Celle-ci fait suite aux conclusions de l’enquête menée par le mouvement de défense des droits humains, Amnesty International, sur le profilage ethnique par la police belge.
Retrouvez, ici, toute l’actualité de Charleroi et de sa région.
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