Dénoncé à la police pour un pseudo salon de coiffure clandestin: sa fille coiffait juste son épouse
InterviewOn vit une époque formidable. Et le cynisme ne se rapporte pas qu’au tragi-comique de notre vie sociale amputée et au caractère désolant de l’an 2020. L’âge d'or de la délation. Des voisins qui dénoncent tout et n’importe quoi, en profitent pour se venger, la police qui croule sous les signalements. Didier Claes, habitant d’Ixelles en a lui aussi fait les frais. La nausée.
Rédaction
“C’est une horreur, on reçoit des dizaines de dénonciations par jour”, confiait David Quinaux, porte-parole de la police de Charleroi, sur la RTBF ce matin. “Ça n’arrête pas, les gens dénoncent tout et n’importe quoi”, ajoutait-il. Un bon exemple? Le cas de Didier Claes, qui a relaté sur Facebook (voir la publication au bas de l’article) la mésaventure dont il a été victime à son domicile. Les faits se sont produits à Ixelles le 14 décembre dernier.
Il nous reprécise le contexte: “Il faisait très beau ce jour-là et ma compagne avait ouvert grand les fenêtres du premier étage, où elle se trouvait avec ma fille qui est d’ailleurs aussi domiciliée chez moi, et qui lui faisait donc des tresses. J’étais à l’arrière, je n’avais rien vu. C’est là qu’un homme se montre insistant et commence à prendre des photos. Ma compagne m’appelle pour me faire part de son attitude bizarre. Loin de moi l’idée d'imaginer quoi que ce soit, je pense que cette personne observe notre sapin, qui est assez imposant. À ce stade, je pense qu’il ne s’agit que d'un voyeur. Mais c’est là que ma femme me dit que l’homme lui fait des doigts d'honneur et a crié avoir appelé la police. Je finis donc par le rejoindre pour le suivre dans la rue, il répète avoir appelé la police et nous dit ‘Vous allez voir!’”.
“On donne plus d’importance à la délation qu’aux délits graves”
C’est la fille de Didier Claes qui comprend en premier lieu: le curieux a imaginé voir, depuis le trottoir, une coiffeuse et une cliente à l’étage. La situation invraisemblable prend un tour encore plus absurde lorsque, trois minutes plus tard, trois voitures de police de la zone Bruxelles-Ixelles débarquent. Neuf agents en sortent et annoncent à Didier Claes avoir reçu une dénonciation pour suspicion de salon de coiffure clandestin. Une 4e voiture, déjà en route vers les lieux, est renvoyée vers le commissariat. En moins de 10 minutes et après les contrôles d’identité qui attestent de la bonne foi de la famille, la police reconnaît qu'il y a maldonne.
Il n’y a rien de plus surréaliste que de réaliser qu’il peut finalement vous arriver quelque chose en étant tranquillement chez soi et parfaitement en droit
Mais les choses auraient pu déraper, analyse la victime de cette délation injustifiée. “La police n’a pas été ‘courtoise’, mais correcte dans mon cas. Elle m’a expliqué ensuite qu’en cas de dénonciation, elle doit être parée à intervenir et bloquer les issues, ne sachant face à quel cas de figure elle va faire face. Cela m’étonne car lorsque j’ai été victime d'une infraction, une seule voiture s’est déplacée! Dans ce cas-ci, ne pouvait-on pas juste envoyer l’agent de quartier? On vit dans un monde où la délation est plus considérée que des délits graves. En agissant de la sorte, la police légitime la dénonciation ”, soupire celui qui voit une réaction disproportionnée par rapport aux faits présumés.
Didier Claes réalise aussi à quel point il a eu du mal à garder son calme, même s'il a obtempéré. “C’est dur de ne pas s’énerver. Justement lorsque l’on n’a rien fait. Il n’y a rien de plus surréaliste que de réaliser qu’il peut finalement vous arriver quelque chose en étant tranquillement chez soi et parfaitement en droit. Il suffit de peu de choses pour que cela dérape et qu'on perde son calme, quand nos libertés fondamentales sont attaquées. J’ai été tenté de poursuivre ce type. Et je comprends que des gens s’énervent lorsque la police les considère comme des truands alors qu'ils reçoivent, par exemple, leurs enfants (N.D.L.R. la fille de Didier Claes vit chez lui)”, résume le Bruxellois, qui souligne comprendre qu’il faut veiller à ce que les contaminations ne montent pas en flèche, mais ne pas comprendre qu'on en arrive à des extrémités comme on l’a vu à Waterloo il y a quelques jours.
“Certains se sentent investis par une mission de citoyen en dénonçant les autres”
Surréaliste est le terme qui ressort le plus de la conversation. “Mais en réalité, ça dénote bien du climat délétère dans lequel nous vivons. Car à ce rythme, on peut aussi m’envoyer la police au cas où on me voit de loin manger à la fenêtre à l’étage avec ma compagne, en imaginant que c’est un restaurant? Cela fait très peur et on vit dans un climat dangereux qui rappelle la guerre. Des gens ont été tués comme ça. Moi, cela m’effraie. On en arrive à des situations où des gens, même s'ils sont en infraction, en viennent presque à risquer leur vie en fuyant, par peur. Tout ça parce que certains, sans preuve, se sentent investis d'une mission de citoyen confiée par l’État en attrapant ce qu'ils pensent être un fraudeur!”.
Tout comme on sanctionne un canular auprès des pompiers, il faudrait pouvoir punir les gens qui ont recours à la délation sans preuve
“Ne pas en rajouter à l’agonie ambiante”
S'il a partagé sa mésaventure, qu'il a mis quelques jours à digérer, c’est parce qu’il a été exhorté par des proches et notamment une amie psychologue qui a vu là l’occasion de faire réfléchir. “Je suis rassuré par les nombreux commentaires et partages de ma publication, et je retire mes pensées sur les réseaux sociaux où jusque-là je regrettais parfois de voir les gens s’épancher. Il faut faire passer le message derrière cette histoire qui peut paraître banale mais qui en fait est représentative et a de l’impact. On vit, pour certains indépendants, un 7e mois de confinement, et je pense qu’il ne faut pas en rajouter à l’agonie ambiante. Je pense aussi qu’il faut un message politique fort face à ce genre de faits parce que l’atmosphère dans laquelle nous vivons est bien trop délétère. Finalement, de la même manière qu’on sanctionne quelqu’un qui fait un canular en appelant les pompiers, il faudrait pouvoir punir les gens qui ont recours à la délation sans preuve”.
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