Flamands vs Wallons: quelle mouche a piqué Paul Magnette? “Il a commis une erreur politique”
Après avoir donné le coup d’envoi de la bataille pour le poste de Premier ministre en 2024, Paul Magnette a déclenché une mini-tempête médiatique en s’épanchant, à l’aune d’une blague, sur le rapport au travail différent qu’auraient les Flamands et les Wallons. Face à une pluie de réactions venant des deux côtés de la frontière linguistique, le président du PS a rétropédalé en invoquant du “second degré”. Loin d’être un néophyte en politique, ce n’est pas la première fois qu’il se laisse aller à une communication transgressive. Comment décoder ces deux dernières sorties? Fait-il le jeu des nationalistes? “Il a commis une erreur politique. Ces propos, même formulés sous la forme d’une blague, entretiennent l’agenda communautaire favorable à la N-VA”, analyse Pascal Delwit, politologue à l’ULB. Rappel des faits, réactions et décodage.
Michaël BoucheDernière mise à jour:10-02-23, 11:54
Avant tout chose, qu’est-ce Paul Magnette a dit stricto sensu lors de cette interview accordée au magazine people flamand Dag Allemaal? Interrogé sur le taux d’emploi désastreux en Wallonie, il rétorque que, jusque dans les années ‘60, c’est la Flandre, plus pauvre, qui profitait de la solidarité wallonne, et que la situation s’est inversée aujourd’hui. “J’ai le sentiment que les Flamands en veulent parfois trop”, développe-t-il. “Quelque part, je les comprends. Pendant des siècles, il y a eu de la pauvreté, et il est apparemment dans les gènes (des Flamands) de travailler aussi dur que possible. Parfois peut-être au détriment de leur propre bonheur”.
Alors que le journaliste lui demande si, en mettant en perspective le “Flamand plus bosseur et le Wallon plus paresseux”, il ne tombe pas dans un cliché, Magnette poursuit: “Il y a une blague éloquente à ce sujet. Un Flamand croise un pêcheur le long d’une rivière wallonne. Pourquoi tu n’achètes pas un grand bateau avec beaucoup de lignes, pour gagner plus comme moi et arrêter de travailler plus tôt?, demande le Flamand. Mais que feras-tu ensuite?, répond le Wallon. Je pourrai pêcher comme toi. Pourquoi repousser si longtemps le bonheur?, se demandent de nombreux Wallons. Les Wallons aiment profiter de la vie. Est-ce si mal?”, conclut Paul Magnette.
Bart De Wever: “Il est temps que nous, Flamands, disions clairement ‘non’ à cela”
Cet extrait de l’interview a ensuite été repris sur le site du journal Het Laatste Nieuws avec le titre: “Les Flamands doivent toujours travailler dur, les Wallons préfèrent profiter de la vie. Est-ce si mal ?”. Très vite, les propos ont provoqué un tollé en Flandre. Du pain bénit pour la N-VA, qui n’en demandait pas autant. “La Vivaldi parfaitement résumée... Il est temps que nous, Flamands, disions clairement “non” à cela. Il est temps que les régions deviennent financièrement autonomes de leur propre “plaisir”. Il est temps de garantir notre prospérité flamande”, a tweeté Bart De Wever en personne.
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Le Vlaams Belang, l’Open VLD, le CD&V, Groen ont également dénoncé ces propos. En revanche, c’est le silence radio du côté de Vooruit. Aucune réaction de la part de Conner Rousseau. Visiblement embarrassés, les socialistes flamands se font discrets. Contacté par nos soins, le porte-parole du parti n’a pas souhaité faire de commentaire. Jeudi après-midi, la députée fédérale Melissa Depraetere a toutefois minimisé la polémique dans l’émission Villa Politica, sur la VRT. “Il n’y a rien de mal à une petite blague, même au 16 rue de la Loi. Cependant, il est possible de combiner les deux, travailler dur et profiter aussi un peu de la vie, que ce soit en Flandre ou en Wallonie”, a-t-elle réagi, évitant soigneusement de jeter de l’huile sur le feu.
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Du côté francophone aussi, de nombreux responsables politiques ont réagi, notamment pour dénoncer la “caricature” faite des Wallons. “Bien sûr, Paul Magnette pense qu’on peut profiter de la vie sur base des allocations sociales ou de chômage (53 % de taux d’emploi à Charleroi). Les Wallons aspirent plus à un travail mieux récompensé qu’à vivre aux crochets des flamands!”, a répondu Denis Ducarme sur Twitter.
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Renseignements pris, le président du PS s’est exprimé en néerlandais lors de l’interview à Dag Allemaal, en “switchant” parfois vers le français pour mieux faire passer certaines nuances. Magnette maîtrise très bien le néerlandais et a déjà fait plusieurs apparitions dans les médias flamands. Il n’est donc en aucun cas question d’une erreur due à un manque de connaissance de la langue. Dès lors, comment décoder sa dernière sortie médiatique? Nous avons fait le point avec Pascal Delwit, politologue à l’ULB.
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Monsieur Delwit, avez-vous été surpris par la sortie de Paul Magnette? Comment interprétez-vous ses propos?
Non, je n’ai pas été surpris. Il faut les interpréter à la lumière de la manière dont Paul Magnette communique de manière générale, et plus globalement de la manière dont il exerce ses mandats politiques. C’est-à-dire qu’il assume une part de légèreté, un côté dilettante, qui tranche avec la présidence d’Elio Di Rupo de la première décennie des années 2000, qui était une présidence sans surprise, très professionnelle, très articulée. Magnette n’est pas dans cette optique. Il y va avec une certaine improvisation. C’est quelqu’un qui aime faire des blagues, de plus ou moins bon goût selon le regard que l’on porte là-dessus. Ce n’est pas la première fois, d’ailleurs.
Est-ce qu’il a commis une gaffe?
En tout cas, c’est une erreur politique. De mon point de vue, on sait bien que quand on tient ce genre de propos devant des journalistes - même si c’est dit sur le ton de la plaisanterie - on sait que ça se retrouvera dans l’espace public et il faut l’assumer. Le journaliste n’hésitera pas à en faire une manchette, c’est le jeu médiatique.
Est-ce que ses propos entretiennent le stéréotype du flamand plus bosseur et du wallon plus paresseux?
Ces propos, même formulés sous la forme d’une blague, entretiennent un double cliché. Les deux sont faux. Il n’y a pas d’étude qui établit que les travailleurs néerlandophones travaillent plus que les travailleurs wallons. Dans le débat politique belge, ça entretient plutôt l’agenda de vos adversaires que votre propre agenda...
En opposant travailleurs wallons et flamands, Magnette ne légitime-t-il pas quelque part le discours, la rhétorique de la N-VA? C’est du pain bénit pour les nationalistes, non?
Oui, il entretient l’agenda communautaire remis à l’avant-plan par la N-VA et Bart De Wever, lui-même en difficulté, mais aussi par Sammy Mahdi, le président du CD&V, une partie de l’Open VLD et même Vooruit, dont les bureaux se trouvent dans le même bâtiment que le PS. Ça entretient l’agenda communautaire, qui n’est pas l’agenda sur lequel le PS fait campagne et obtient des voix, mais celui qui est favorable à la N-VA.
Qu’est-ce que vous avez pensé de sa réaction, une forme de rétropédalage où il affirme que c’était du second degré, une blague en gros? Est-ce que cette explication est crédible?
Oui, je crois que c’était une blague. Est-ce que ça a du sens? Non, mais quand il y a une tornade communicationnelle, il faut bien dire quelque chose. Quand on est le président de premier parti francophone, on connait les codes de la communication. Si on franchit ces codes, on se retrouve dans la tourmente. Chacun qui est confronté à la communication s’expose à des erreurs. Le problème, c’est qu’avec Magnette, c’est à échéance régulière. Il y avait déjà eu sa sortie sur le commerce en ligne, où il avait dit aussi que c’était une erreur...
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Quelles peuvent être les conséquences politiques de ces déclarations? Cela pourrait-il éventuellement avoir un impact en vue de 2024 et alimenter le vote nationaliste?
Je crois qu’il ne faut pas surestimer les conséquences de cette communication. Ce qui fait l’actu un jour disparait le lendemain. Par rapport à 2024, il faut rester prudent et ne pas tirer de plan sur la comète. Cela dit, c’est vrai qu’on est dans un contexte compliqué pour Paul Magnette et pour le PS. Ça entretient l’image d’un président de parti qui fait des choix (de communication) qu’on ne comprend pas toujours très bien.
Il y a une semaine, Paul Magnette a annoncé son intention de briguer le poste de Premier ministre à l’issue des élections de 2024, si du moins les résultats des urnes le lui permettent. Pourquoi lancer la bataille pour le Seize si tôt, à 500 jours des élections?
Ça s’inscrit de nouveau dans un propos qui n’est pas bien préparé, peut-être même une réaction à chaud. Je pense que ça n’a aucun sens. Primo, on ne peut pas être candidat Premier ministre en Belgique. Formellement, c’est une prérogative du Roi. Puis, ça dépend de beaucoup de facteurs: le résultat électoral, le type de coalition, le sexe linguistique. Il n’y a pas d’élection directe du Premier ministre. Deuzio, ce propos est en décalage avec les attentes sociales du moment. Qui parmi les citoyens, francophones ou néerlandophones, se préoccupent de savoir qui sera Premier ministre. Les préoccupations sont multiples: inflation, emploi, logement, fiscalité, mobilité, les questions de paix et de guerre. C’est autour de ces thématiques qu’on attend la parole politique. Ça ne rencontre pas les attentes de larges segments de la population, y compris des électeurs du PS, à savoir les classes populaires et moyennes salariées. Ce n’est pas leur première préoccupation. Ça donne l’image d’un président davantage centré sur lui-même qu’autre chose.
L’interview de Magnette dans le Soir, dans laquelle il se disait intéressé par le poste de Premier ministre, a suscité beaucoup de réactions côté flamand, notamment Bart De Wever mais aussi Alexander De Croo lui-même...
Oui, ça s’inscrit dans un débat, même dans une polémique politique entre lui et Alexander De Croo. De Croo s’était déjà exprimé là-dessus, d’ailleurs. On observe bien que le choix porté fin septembre/début octobre 2020 de choisir Alexander De Croo comme chef de gouvernement n’a pas été facile à accepter par le PS et Paul Magnette. Et donc, cet élément est vécu comme quelque chose qui ne doit plus se reproduire en quelque sorte...
Paul Magnette est légitime pour dire qu’il pourrait être Premier ministre, il est issu du premier parti francophone. Ce n’est pas illégitime qu’il revendique le poste mais les dynamiques dans lesquelles le poste est affecté sont devenues imprévisibles.
Pascal Delwit (ULB)
Paul Magnette Premier ministre, est-ce que c’est une hypothèse plausible, selon vous?
Je ne pourrais pas vous dire quelles sont ses chances de devenir Premier ministre. C’est une alchimie complexe. On peut regarder cela à travers le prisme d’Alexander De Croo. L’Open VLD et la famille libérale ont fait un très mauvais résultat lors de l’élection de mai 2019 et c’est De Croo qui est devenu Premier ministre. Aujourd’hui, dans un système politique très éclaté comme le nôtre, très fragmenté, il y a beaucoup d’éléments qui interviennent dans la désignation du choix du Premier ministre: le résultat électoral et puis la dynamique des coalitions. Depuis 1999, et encore plus depuis les périodes plus récentes, on voit que les choses vont dans un sens parfois inattendu. Ce n’est plus nécessairement le parti ou la famille politique qui a le plus de sièges qui obtient le poste de PM. Je crois que la question ne se pose pas encore aujourd’hui. Il est toutefois légitime pour dire qu’il pourrait être Premier ministre. Il est issu du premier parti francophone. Ce n’est pas illégitime qu’il revendique le poste mais les dynamiques dans lesquelles le poste est affecté sont devenues imprévisibles.
Quels pourraient être, selon vous, les autres “Premier ministrables”?
On peut imaginer Conner Rousseau, même Bart De Wever. Encore une fois, c’est difficile à dire sans connaître le résultat de l’élection. Il y a un élément qui pourrait toutefois entrer en ligne de compte: depuis 1999, c’est la famille libérale qui a le plus eu le poste, alors qu’elle est plutôt en déclin. Je crois que cette dynamique va s’interrompre à un moment donné. Les autres ne vont plus accepter. On pourrait avoir une logique comme en octobre 2020, où un parti qui n’est pas le plus important obtienne le poste, comme le CD&V par exemple. Conner Rousseau aura de l’ambition aussi. Je n’écarte pas non plus l’hypothèse que De Croo se succède à lui-même.
Et Georges-Louis Bouchez, ça vous parait exclu?
Ça me parait un des scénarios les moins vraisemblables, mais dans l’absolu, je ne l’exclus pas. Si le MR devance le PS, il aura aussi une certaine légitimité à le revendiquer.