Fractures, dents cassées, bouches détruites: récits des dangers de la trottinette électrique

Le chirurgien Christophe De Foer pense qu’il est grand temps de mettre en garde le groupe croissant d’utilisateurs de trottinettes électriques. 

“Dans les années disco, avant les airbags et le port massif de la ceinture de sécurité, les chirurgiens bucco-dentaires, maxillo-faciaux et stomatologues avaient beaucoup de travail en raison de la vie nocturne. Tous les week-ends, nous devions nous occuper d’au moins un visage qui avait été cabossé contre un tableau de bord ou un pare-brise lors d’un accident de voiture. Heureusement, à partir des années 1990, ces traumatismes ont presque totalement disparu. Depuis deux ou trois ans, les années 80 sont de retour, à cause de la trottinette électrique. Le port du casque n’est pas obligatoire et est rarement, voire jamais, porté. Ce n’est pas seulement moi qui l’ai remarqué, mais tous mes collègues des grandes villes européennes.”

De Foer: “Dans 40% des accidents, il y a un traumatisme crânien, souvent au visage avec des plaies très mutilantes. Une fracture typique ressemble à un uppercut extrême lors d’un match de boxe: d’un seul coup, vous brisez la mâchoire supérieure et inférieure, les deux articulations de la mâchoire et les incisives. Avec un peu de malchance, les racines de vos molaires se fendront aussi dans le sens de la longueur. Normalement, nous ne voyons ce type de fracture faciale grave que chez les patients victimes d’un accident vasculaire cérébral, les épileptiques ou les patients ivres, car ils n’ont pas de réflexe de défense. Exceptionnellement, on le voit chez les cyclistes qui, à pleine vitesse, reçoivent une canette de boisson, un sac à main ou même un écureuil entre les roues.

“Lorsque vous tombez d’une trottinette, vous n’avez pas le réflexe de lâcher le guidon et de vous protéger le visage comme vous le feriez avec un vélo. Au contraire, les utilisateurs s’accrochent encore plus à leur guidon.

Après le traumatisme crânien, les fractures des membres supérieurs arrivent en deuxième position. Les fractures des membres inférieurs arrivent en troisième position. Ceci uniquement pour les utilisateurs âgés de 20 à 40 ans. Chez les personnes de plus de 40 ans, c’est exactement l’inverse. Ils se cassent plus souvent les jambes que les bras. Les quadragénaires sont maintenant confrontés à de graves blessures au genou et à des fractures de la hanche que l’on voit normalement chez les plus de 70 ans.”

“C’est une question de physique: vous êtes debout, votre centre de gravité est beaucoup plus élevé que sur un vélo et vous vous retournez donc plus vite. Les trottinettes ont des roues ridiculement petites de 8 à 11 pouces. Un vélo de ville avec des roues de 29 pouces peut avoir de la chance de passer par-dessus un trottoir, mais pas une trottinette. Le moindre obstacle suffit à faire basculer votre guidon. C’est la nuit que la plupart des personnes se blessent, surtout par temps de pluie. Dans l’obscurité, vous ne pouvez pas voir les cailloux, les broussailles, les nids de poule ou les pavés détachés.”

“Juste une fois, maman?” Karen Verschoren regrette encore d’avoir répondu, contre son intuition à la question de sa fille Imke, âgée alors de 6 ans. “Sur le réglage le plus lent et seulement dans la rue de la maison”. La petite fille roulait à 15 km/h avec son grand frère lorsque leur trottinette a basculé sur un caillou. Bilan: une fracture crânienne de 11 centimètres et une hémorragie cérébrale grave.

“Physiquement, Imke s’en est bien sortie, mais sept mois plus tard, elle est toujours perdue dans la cour de récréation et les supermarchés. Son orientation et sa notion du temps sont perturbées. Certains jours, elle ne peut pas trouver des mots de base comme chaise et table. Elle a doublé sa première primaire et parfois elle est incapable de faire ses devoirs, elle s’endort comme un bébé. Ce n’est qu’après un an que l’on pourra mesurer les dégâts exacts, mais il semble certain qu’il y ait des séquelles”

“Ça me ronge de lui avoir donné mon accord. Je lui ai mis un casque. Elle l’a immédiatement enlevé et je l’ai laissé partir comme ça.” 

La trottinette de Margot Heydt, 27 ans, est restée coincée dans une bouche d’égout à Anvers. Elle est tombée la tête la première sur son menton. “J’ai vendu ma trottinette pour 250 euros. Je ne pouvais payer qu’un quart d’une couronne dentaire avec ça. J’ai eu besoin de six couronnes. J’ai déjà 11.000 euros de frais dentaires et la restauration est toujours en cours.”  

“C’était en juillet 2020, je voulais être à la maison à minuit pour le couvre-feu. Je ne me souviens pas de la chute, mais un ami est allé ramasser des restes de dents le lendemain matin, juste à côté de cette bouche d’égout.”

“Mes mains n’avaient pas une égratignure, mais mon visage était un ravage. L’infirmière des urgences l’a reconnu immédiatement: ‘Une autre trottinette?’. Je ne pouvais pas répondre. Ma mâchoire inférieure avait été cassée en deux et elle pendait, car les deux articulations de la mâchoire étaient brisées. Dix dents ont été fendues dans le sens de la longueur. Mes parents ont investi beaucoup d’argent dans mon appareil dentaire d’adolescent, tout ça pour rien. Et pourtant, j’ai eu beaucoup de chance. Des Belges sont déjà morts de la même chute ‘stupide’.”

“Financièrement, c’était un désastre. La mutuelle n’intervient pas pour les reconstructions dentaires. 11.000 euros de votre propre poche, c’est beaucoup pour une jeune de 20 ans. Même une assurance dentaire n’aurait pas réellement fait de différence. Elles versent un maximum de 1.500 euros par an. Par nécessité, j’ai vendu des sacs à main faits maison et des articles de décoration intérieure sur Instagram. Cela a rapporté 6.000 euros. Ça m’a aussi aidé à me changer les idées. Je suis retournée vivre chez mes parents il y a six mois.”

“Pour le reste de ma vie, je resterai une cliente régulière du physiothérapeute. Mes mâchoires sont raides, comme si je me mordais les dents en permanence. Ma bouche ne s’ouvre pas plus loin que la pointe d’un croissant. Pour le premier vrai baiser après ma guérison, j’étais nerveuse mais ça a marché.”

La trottinette électrique de Glenn Fellows, 33 ans, résident de Temsen, a été malmenée par les pavés glissants d’Anvers. “Je me suis regardé dans le miroir de l’hôpital, incrédule: comment une trottinette peut faire ce genre de dégâts? Avec une Porsche à 200 kilomètres à l’heure, d’accord, mais à 20, sur une route dont je connais chaque pavé? Le choc était si fort qu’il ne restait plus assez d’os pour des implants dentaires.” 

“J’étais sorti avec des collègues. Il était tard. J’étais fatigué. Pour rentrer chez eux après la sortie dans un bar, de nombreux jeunes prennent désormais la trottinette au lieu du vélo. Mais nous ne réalisons pas assez que c’est un véhicule motorisé.”

“Comme il n’y avait pas assez d’os et de tissu gingival pour reconstruire les dents, on a greffé de l’os et créé du tissu gingival à partir de mes propres plaquettes. J’ai facilement perdu 10.000 euros d’économies sur les frais dentaires.”

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