“La main de mon père m'a guidée vers la 4e voiture”: le témoignage poignant d'une survivante de l’attaque à Maelbeek
"Guidée par la main de (s)on père". Sara Margoum se trouvait dans la quatrième rame du métro qui a explosé le matin du 22 mars 2016. Cette magasinière dans une grande surface avant les attentats avoue ne plus être la même depuis l'attaque terroriste qui a coûté la vie à 16 personnes ce jour-là. Pétrie de projets inachevés, elle a demandé lundi "pourquoi" aux accusés devant la cour d'assises de Bruxelles.
RédactionDernière mise à jour:27-03-23, 18:52Source:BELGA
Usagère régulière du métro, Sara Margoum montait "systématiquement dans le deuxième wagon" à Herrmann-Debroux, "pour changer rapidement à Arts-Loi". Ce matin-là, peu avant l'heure fatidique de 09h11, elle a "senti une main" qui l'a "fait entrer dans le quatrième wagon". "Cette main, c'était celle de mon père, décédé il y a 26 ans. C'était un sentiment étrange, glaçant.”
À Maelbeek, le kamikaze Khalid El Bakraoui a déclenché sa charge explosive dans la deuxième voiture de la rame. "Allongée par terre, asphyxiée par la fumée", "je me suis dit qu'il ne me restait plus qu'à prononcer la chahada (la profession de foi musulmane, NDLR) avant de mourir".
La quadragénaire sera blessée quand les portes du wagon se refermeront brutalement sur elle. "À force d'acharnement et d'entraide, les portes se sont finalement ouvertes et j'ai pu atteindre le quai", se souvient-elle. Une fois dehors, elle tente d'appeler sa sœur aînée, chez qui elle vit. "Pour lui dire que j'étais en vie. C'est à ce moment-là que j'ai compris ce sentiment de main sur mon épaule: c'était le destin, mon heure n'était pas encore venue.”
"J'aimais bouger", se rappelle celle qui se déplace à présent à l'aide d'une béquille ou dans une chaise roulante. "J'aimais l'ambiance qui régnait sur mon lieu de travail: remplir les rayons en riant avec les collègues, échanger avec les clients. J'étais une personne souriante, et ce quels que soient les petits couacs de la vie que nous rencontrons tous." Cette Sara a désormais "disparu".
C'est sa sœur, elle-même traumatisée par un braquage en 2006, qui l'aidera à remonter la pente, à ne pas se laisser "enfermer". C'est encore elle qui l'accompagne à sa reprise du travail. "Il m'a fallu reprendre le métro. Il ne s'est pas arrêté à Maelbeek. Il y avait de grandes bâches noires. J'ai pleuré en pensant aux victimes", se souvient-elle. Par la suite, la magasinière a déménagé pour ne plus devoir emprunter ce transport sur le chemin du boulot. Victime de lombalgie aiguë, d'une hernie discale, sa vie "d'après" est rythmée par les visites à l'hôpital et autres séances de kiné. "On a fini par m'installer un neuro-stimulateur. Je prends des dizaines de médicaments par jour", souffle-t-elle.
"Au nom de quoi ces attentats ont-ils été commis? Au nom de la religion, d'une idéologie? Si oui, laquelle? Je souhaite comprendre.”
Sara Margoum, Victime des attentats de Bruxelles
Sentiment de colère
Sept ans après l'explosion, "il m'est impossible de faire des choses simples de la vie, comme mon ménage. C'est ma maman de 86 ans qui m'aide, ou mes sœurs quand elles sont disponibles". En résulte une colère grandissante. “J’avais encore plein de projets à réaliser. L'un d'eux était de devenir mère. Cela s'est envolé le 22 mars 2016" en raison d'une ménopause précoce provoquée par le choc. "C'est la première fois que j'en parle", confie-t-elle pudiquement, avouant un deuil encore prégnant, car elle "n'accepte toujours pas" de ne pouvoir donner la vie un jour.
"Au vu des crimes commis au nom de ma religion, je ressens un profond malaise, une profonde tristesse", a-t-elle lancé. "Au nom de quoi ces attentats ont-ils été commis? Au nom de la religion, d'une idéologie? Si oui, laquelle? Je souhaite comprendre", a conclu Sara Margoum, en remerciant juste après sa sœur "pour son amour inconditionnel". "Grâce à elle, j'avance petit à petit."
Ibrahim Farisi demande pardon d’avoir bousculé la victime
Par la voix de son avocate Me Berger, l’accusé Ibrahim Farisi a présenté ses excuses à Sara Margoum, pour l’avoir bousculée au début du mois, alors qu’elle assistait à l’audience. La quadragénaire avait dû être évacuée par ambulance à la suite de cet incident.
L’accusé, qui comparait libre, a profité du témoignage de la victime devant la cour d’assises pour revenir sur son départ tapageur de la salle, bousculant au passage Mme Margoum. Dans le fond de la salle, celle-ci avait les jambes levées en raison de ses blessures persistantes depuis l’attentat dans le métro bruxellois. Sa pompe à morphine avait été désactivée au passage d’Ibrahim Farisi et la quadragénaire avait dû être évacuée du Justitia par ambulance.
“Je m’excuse, madame, pour le mal que je vous ai fait involontairement. Je n’ai jamais eu l’intention de vous bousculer”, s’est repenti celui qui doit répondre de participation aux activités d’un groupe terroriste. “Il est peut-être trop tôt pour me pardonner”, a-t-il ensuite admis. “J’ai été maladroit, je le reconnais. Encore, je m’excuse. Merci”, a conclu Me Berger à la fin de sa lecture, citant son client.
La victime a répondu qu’elle le pardonnait, en ce mois de ramadan. “Je sais qu’il n’a pas fait exprès”, a souligné Sara Margoum.
La présidente de la cour, Laurence Massart, a pour sa part pointé une amélioration notable du comportement de M. Farisi ces derniers temps, alors que l’homme est connu depuis le début du procès pour ses mouvements d’humeur et ses interruptions régulières.