Le prêtre pédophile belge à nouveau devant la justice: un ancien joueur du Club de Bruges témoigne

Des milliers de prêtres salésiens sont actifs dans le monde entier, dans plus de 100 pays. “Les Salésiens de Don Bosco se consacrent aux jeunes de diverses manières: dans l’éducation, dans les centres d’aide à la jeunesse, dans le domaine des loisirs, de la formation, du développement, etc.”, écrivent les prêtres sur leur site internet. Pourtant, les agissements de l'ancien prêtre Luk Delft en Belgique et en Afrique ces vingt dernières années ne pourraient être plus opposés aux préceptes des Salésiens.

Luk Delft ne fait toutefois plus partie de l’ordre. “Après mûre réflexion, Luk Delft a décidé de demander une dispense de ses obligations et de quitter notre congrégation. Il ne résidera plus à Boortmeerbeek.” Avec ce bref message dans le bulletin paroissial l’année dernière, les Salésiens ont annoncé le départ de leur prêtre pas si catholique que ça. Mais pendant des années, il a reçu le soutien de sa congrégation.

Luk Delft s'est rendu coupable d'attouchements sur mineurs en 2001 au sein du pensionnat des écoles Don Bosco à Gand. Les attouchements se sont déroulés dans le dortoir sur des garçons de 12 et 13 ans. Un certain Guillaume fut l’une de ses victimes. “Une nuit, quelqu’un a essayé de retirer ma couverture. Je pensais que c’était un autre élève, pour jouer”, a témoigné le garçon à la chaîne d’information CNN, qui avait démasqué les agissements du prêtre belge en Afrique. Une autre victime a raconté à la chaîne américaine que quelqu'un avait touché ses jambes et sa zone pubienne, avant de lui faire une fellation. Alors qu’il faisait noir, le jeune garçon avait remarqué la montre de son agresseur. C'est cette montre qui trahira Luk Delft.

Le directeur de l’école, Wim Hanssens, a été inondé de témoignages. Il a demandé des comptes à Luk Delft et son explication fut pour le moins déconcertante. “Je les ai juste caressés”, a-t-il d’abord expliqué. Puis, il a donné une autre version et a admis avoir également tripoté les parties génitales des garçons. Delft a été renvoyé du pensionnat.

Selon l’une des victimes, les Salésiens ont fait tout leur possible pour éviter que l’affaire ne soit jugée. Par exemple, on a dit à la mère de l’une des jeunes victimes qu’un tel procès serait traumatisant pour un si jeune garçon. Il aura fallu attendre 11 ans pour que Delft soit condamné à 18 mois de prison avec sursis pour agression sexuelle et possession d’images pédopornographiques, retrouvées sur son ordinateur en 2009. Mais le prêtre a fait plus de victimes, car tout le monde n’a pas osé déposer plainte contre lui.

Ainsi, un ancien footballeur professionnel du Club de Bruges, aujourd’hui âgé d’une trentaine d’années, se souvient vingt ans plus tard comment Luk Delft a abusé de lui à l’internat Don Bosco de Saint-Denis-Westrem.

“C’était en pleine nuit, j'ai senti ma couverture bouger puis quelqu’un s’éloigner dans la pénombre. Au début, j’ai cru avoir rêvé, mais lorsque j'ai entendu qu'un autre camarade avait vécu la même chose, j’ai compris ce qui m'était arrivé”, raconte l’ex-footballeur à HLN. “Il était le seul gardien de nuit de l’époque à porter des lunettes, c’est comme ça qu’on a pu le démasquer”, dit-il. Plainte a été déposée à la direction, et le prêtre s’est justifié en affirmant que les couvertures n'étaient pas bien mises. Luk Delft a été suspendu et le jeune footballeur brugeois a été entendu par la police. Mais il n’a pas donné suite, pour le bien de sa carrière.

En 2012, le tribunal a interdit à Luk Delft d’entrer en contact avec des enfants pendant dix ans. Pourtant, l’homme a eu l’occasion de partir en mission en République centrafricaine, où il est devenu le chef d’une mission Caritas dans la ville de Kaga-Bandoro. Il y travaillait avec des enfants de familles précarisées. Plus tard, il est devenu secrétaire national de Caritas dans la ville de Bangui et a travaillé dans un centre éducatif pour enfants pauvres. “Rétrospectivement, nous n’aurions jamais dû le laisser partir en Afrique”, ont déclaré plus tard les prêtres salésiens. Car les choses ont rapidement mal tourné en Afrique.

Luk Delft a fait le tour des médias internationaux lorsque ses agissements en Afrique ont été révélés par CNN. Alban Alain, aujourd’hui majeur, avait raconté à la chaîne d’information comment il a été abusé à l’âge de 13 ans par un prêtre dont il pensait qu’il n’avait que de bonnes intentions. “Il m’achetait des vêtements et me donnait parfois de l’argent. Nous étions toujours ensemble”, expliquait l’adolescent, larmes aux yeux. CNN a également contacté le père d’une autre victime, mais il a souhaité rester anonyme.

Après la diffusion du reportage de CNN, le prêtre Delft fut immédiatement renvoyé en Belgique et un certain Alexander De Croo s’en est mêlé. Alors ministre de la Coopération au développement, De Croo a demandé des explications à Caritas Belgique et à Don Bosco face à ces nouvelles accusations. De Croo voulait s’assurer que le prêtre n’avait jamais été impliqué dans les projets des deux organisations qui recevaient des fonds de son ministère. Le ministre s'était également offusqué du fait d'un pédophile condamné puisse être envoyé en Afrique sans aucune surveillance.

Sous pression, Caritas a assuré n’avoir jamais été mise au courant par les Salésiens du passé sulfureux de leur prêtre.

De retour en Belgique, Luk Delft a dans un premier temps été hébergé dans un internat à Woluwe-Saint-Pierre pendant les vacances scolaires, en l'absence des enfants. Il a ensuite été transféré à Boortmeerbeek, dans le seul bâtiment de l’ordre religieux qui n’était pas situé près d’une école. Pourtant, l’ecclésiastique doit également répondre de l’agression sexuelle et du viol d’un mineur en 2019 à Boortmeerbeek.

Carlo Loots, des Salésiens d’Oud-Heverlee, répond. “Il s’est retrouvé là-bas dans une maison de retraite pour anciens missionnaires, un endroit où il n’y a pas de mineurs. En 2021, Delft lui-même demandé son départ et quand il a eu la bénédiction du pape, il nous a quittés. Nous avons fait des choix indépendants à l’époque et avons été aidés par des avocats, mais il s’est quand même passé des choses qui n’étaient pas acceptables”

Loots, en tant que représentant des Salésiens, est pour l’instant une “partie lésée” au procès de mardi. Il n’a pas encore décidé s’il allait également engager une action au civil. “Après tout ce qui s’est passé, nous avons élaboré un protocole en interne pour encore mieux sélectionner et orienter les futurs Salésiens. Nous avons également rédigé une brochure intitulée “Mesures de prévention des comportements transgressifs” dans cette optique, et si de tels faits devaient se reproduire, il ne sera plus possible pour une telle personne de se retrouver avec des jeunes ou d’être transférée dans un autre pays”, assure-t-il.

Pas trop tôt puisqu’avec le père Pieter M., l’ordre compte un autre pédophile notoire dans ses rangs. Ce dernier a été condamné à 12 mois avec sursis il y a un an, alors qu’il avait déjà 100 ans, pour l’agression sexuelle d’un garçon de 16 ans lors d’activités dans une cour de récréation, dont il était responsable.

Luk Delft sera donc à nouveau face aux juges ce mardi 6 décembre. Il devra répondre de la possession de pornographie infantile et du non-respect de sa probation. Il est également jugé pour l’agression sexuelle et le viol de garçons de plus de 14 ans et de moins de 16 ans. Des crimes commis à Woluwe-Saint-Pierre en 2007, en Afrique en 2016 et à Boortmeerbeek en 2019.

Le quinquagénaire est assisté des avocats gantois Jan de Winter et Emma Teerlinck. De Winter a confirmé que son client nie avec véhémence les accusations qui pèsent contre lui. “Comment des faits qui se seraient produits en Afrique peuvent-ils être portés devant un tribunal de Louvain? Nous pensons qu’il y a beaucoup à dire à ce sujet et c’est une question à laquelle l’accusation devra répondre. Je pense que la Cour aura également des réserves sur ce sujet.”