Les “Amis belges d’Israël” demandent d’interdire la parole à trois pro-Palestiniens à Charleroi

Les “Amis belges d’Israël” demandent à ce que Dareen Tatour, Mustapha Awad et Ahmed Frassini ne puissent pas s’exprimer lors de “Cuillers et Sumud”.

Jeudi, ils ont adressé un courrier officiel à l’adresse du Directeur Général (DG) du gouvernement provincial du Hainaut, Sylvain Uystpruyst (PS): “La frontière est mince entre le soutien à la liberté d’expression et l’octroi d’une tribune à des voix qui ont, et peuvent encore avoir, des liens étroits avec des organisations terroristes interdites qui glorifient la violence et sèment la haine. Cet événement franchit cette limite. L’événement aura lieu, en l’occurrence, dans une bibliothèque publique. Nous vous demandons donc instamment d’agir de manière urgente, en tant que Directeur Général du gouvernement provincial et de retirer par conséquent à ces orateurs l’autorisation de participer à cet événement”.

Nous avons tenté de joindre Sylvain Uystpruyst. Sans succès. Mais tout porte à croire que les artistes incriminé(e)s seront bel et bien présent(e)s. Sur la page Facebook du rassemblement, aucune mise à jour ne vient attester du contraire.

Dareen Tatour est une poétesse arabe israélienne. “Parmi les orateurs de cet événement figure Dareen Tatour qui, selon le matériel promotionnel, a été emprisonnée pour avoir écrit un poème: Résiste, mon peuple, résiste. Cette affirmation est fausse. En fait, Dareen Tatour a été emprisonnée pour avoir publié des messages sur Facebook qui exprimaient un soutien au terrorisme et y incitaient” rédigent les “Amis belges d’Israël”.

L’un des posts Facebook controversés concerne pourtant son poème “Résiste, mon peuple, résiste”. Dans une vidéo, elle le récite sur des images de Palestiniens en train notamment de lancer des pierres en direction des forces de l’ordre israéliennes. Elle a toujours prétendu que son poème avait été mal interprété.

Il lui a aussi été reproché d’exprimer son soutien à l’encontre du groupe palestinien du “Jihad islamique” considéré comme terroriste par l’Union Européenne (UE) et d’appeler à une nouvelle Intifada. Le terme Intifada définit une révolte. Il renvoie aux soulèvements palestiniens de 1987 et de 2000 contre l’occupation territoriale israélienne.

Enfin, elle a été condamnée pour avoir affiché une photo d’une femme arabe israélienne blessée par balles par la police de son pays pour avoir brandi un couteau. En guise de légende, elle avait écrit: “Je suis le prochain martyre”.

L’écrivaine a écopé de cinq mois de prison pour incitation à la violence et soutien à une organisation terroriste en 2018 après avoir été arrêtée en 2015. Elle a été libérée avant ce délai, car une partie de sa peine avait déjà été purgée avant que la sentence ne soit prononcée.

En appel, elle a été partiellement acquittée. Elle a obtenu que son poème “Résiste, mon peuple, résiste” ne soit considéré comme de l’incitation à la violence.

Suite à ces procès, cette figure de l’écriture arabe n’est pas devenue persona non grata. Dans le milieu artistique, elle n’est pas vue comme une fondamentaliste. En janvier 2020, elle a partagé la scène du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles avec la juive israélienne, Einat Weizman. Un spectacle dirigé par une autre juive israélienne, Nitzan Cohen.

En 2017, Dareen Tatour a été désignée comme lauréate de la fondation danoise Carl Scharnberg. Une récompense de 2.000 euros lui a été attribuée afin qu’elle poursuive “sa lutte pour la poésie, l’art et la justice”. La fondation Carl Scharnberg met à l’honneur des artistes ou activistes qui sont des symboles de solidarité, des droits humains et de la paix.

L’année dernière, Dareen Tatour a également été invitée au département de Littérature anglaise de l’université d’Haïfa en Israël. Face à la polémique, l’institution publique avait déclaré ne pas avoir été mise au courant de cette intervention et ne pas adhérer aux valeurs que l’artiste propage. Mais dans le même temps, elle a précisé auprès des journalistes du Jerusalem Post: “C’est la nature de la liberté d’expression. Nous nous accrochons à ce principe même si le contenu est odieux”.

Autre participant à “Cuillers et Sumud”: Mustapha Awad. Il est Belgo-Palestinien. “Un autre intervenant de l’événement, Mustapha Awad, citoyen belge, est décrit comme ‘un ex-prisonnier et un acteur culturel’. Il a été en fait condamné pour avoir été un membre actif du Front Populaire de Libération de la Palestine (NDLR. le FPLP), une organisation terroriste reconnue comme telle au niveau international. Le fait d’être associé à une organisation terroriste exclut la possibilité d’être décrit comme un ‘acteur culturel’” estiment les “Amis belges d’Israël” dans leur courrier.

Mustapha Awad a obtenu la nationalité belge après avoir été reconnu comme réfugié politique par les autorités. Or, ces documents officiels ne sont pas octroyés à la légère. En 2021, le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA) n’a, par exemple, remis un avis positif que pour 43,5 pourcents des demandes d’asile.

Né dans un camp de réfugiés au Liban, le Belgo-Palestinien avait décidé en juillet 2018 de retrouver la terre de ses ancêtres. Il a été immédiatement appréhendé à un poste-frontière pour appartenance à une organisation illégale: le FPLP. Ce qu’il a toujours nié malgré des aveux proférés lors d’interrogatoires qui se sont déroulés “en totale contradiction avec les droits de l’Homme” selon l’ancien président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme, Alexis Deswaef.

Les arguments retenus contre lui ont été détaillés par son avocate, Lea Tsemel, dans les colonnes du Soir: “On lui reproche d’avoir, en 2010, rencontré en Belgique des membres du Front Populaire de Libération de la Palestine. Au Liban il y a trois ans, il avait aussi reçu quelques heures de cours pour échapper aux filatures et il avait accepté de transférer de l’argent pour un ami vers la Belgique. Les enquêteurs ont même reconnu qu’il n’était pas une menace pour Israël”.

Puni d’un an d’emprisonnement, il a finalement été relâché le 22 mars 2019.

Le troisième individu à subir les foudres des “Amis belges d’Israël” est Ahmed Frassini. Né à Jenine en Palestine, il est artiste, journaliste et réalisateur. Pour les “Amis belges d’Israël”, certaines de ses œuvres incitent à la violence. L’association en veut pour preuve cette peinture relayée sur Facebook. On y voit un homme qui porte le keffieh sur la tête, un drapeau palestinien dans une main et un fusil dans une autre. Autour de lui, des chiens méchants. Le message en arabe qui accompagne l’image signifie “Championnats et trahison”.

Avec ses dessins, il a contribué au livre “Sumud. Une philosophie palestinienne de la résistance dans les prisons coloniales” de Lena Meari. Le Sumud signifie une inébranlable résistance.

La rencontre culturelle “Cuillers et Sumud”, elle, est organisée par le collectif “Plate-forme Charleroi-Palestine”.

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