Les femmes libèrent leur parole à Charleroi: “On m’a intimé l’ordre de baisser les yeux”
ReportageComme chaque année, le 8 mars, la plateforme citoyenne carolo, Femmes de Mars, organise une manifestation dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes. Cette année est particulière. Tout d’abord, Femmes de Mars a répondu à l’appel à la grève nationale du Collecti.e.f 8 maars. Ensuite, il y a eu deux attroupements pour le prix d’un.
“Le sang des règles vous dégoûte plus que celui des femmes battues”, “Violences sexistes, ripostes féministes”, “Gratuité des protections périodiques = droit fondamental” ou encore “On ne fermera pas nos gueules”. Les messages sur les pancartes brandies par les manifestant(e)s sur la place Buisset à Charleroi ne laissent planer aucun doute sur les revendications féminines.
Une centaine de personnes sont là. La prise de parole des organisatrices doit débuter à 16 heures. Tout le monde cherche un peu sa place. La distance d’un mètre 50 entre chaque participant(e) doit être respectée. Coronavirus oblige. Pour pourvoir être présent(e), chacun(e) a dû s’inscrire au préalable auprès de Femmes de Mars. “Nous avons récolté 100 inscriptions en l’espace de deux heures” s’enorgueillit la coordinatrice, Margaux Joachim. Mais comme seuls 50 individus peuvent se réunir en même temps sur la voie publique, une deuxième manifestation se déroulera à 17 heures 30 sur la Place Verte voisine. “C’est dommage. Sans ces restrictions, nous aurions pu attirer le double de participants.”
Margaux Joachim en est persuadée car elle remarque que de plus en plus de membres rejoignent le mouvement, Femmes de Mars: “Nous sommes une trentaine de membres actifs actuellement. Des dizaines d’autres nous suivent également. L’année dernière, nous étions peut-être une quinzaine. Je pense qu’une prise de conscience est en train de s’opérer. De plus en plus de jeunes femmes et de jeunes hommes viennent grossir nos rangs.”
Hymne et revendications
16 heures. On y est. C’est le moment de reprendre en chœur l’hymne des femmes: “Nous qui sommes sans passé, les femmes. Nous qui n’avons pas d’histoire. Depuis la nuit des temps, les femmes, nous sommes le continent noir. Levons-nous femmes esclaves! Et brisons nos entraves. Debout, debout, debout!”
Les discours s’enchaînent ensuite. Ils ont aussi une portée politique. Le salaire minimum à 14 euros de l’heure est une demande insistante. Il concerne majoritairement les dames. Elles sont moins bien payées que leurs collègues masculins et elles sont plus nombreuses à occuper des emplois précaires.
“Affiches arrachées”
Nous nous faufilons au milieu des protestataires. La plupart viennent pour la première fois au rassemblement. Âgée de 25 ans, Alizée Gregorio est pourtant une militante très active: “Nous sommes quatre filles qui sortons le soir ou la nuit pour coller des affiches sur les murs de la ville.” Cela fait d’ailleurs plusieurs jours qu’elles sont visibles dans le centre-ville carolo. “Quand je sors, je veux être libre, pas courageuse” est-il écrit sur l’une. “Le sexisme est partout. Nous aussi!” peut-on lire sur une autre. “Cela nous permet de dire tout ce que nous avons sur le cœur. En faisant cela, nous ressentons un sentiment de liberté même si régulièrement des affiches sont arrachées” nous explique Alizée.
Ce sentiment contraste avec les sensations qu’elle ressent au quotidien: “Il y a énormément d’inégalités. Nous sommes déjà moins bien payées que les hommes pour un même travail. Ensuite, je travaille dans un milieu masculin. Je suis éducatrice dans des abris de nuit. Je peux vous dire que je subis des remarques misogynes. Notre parole est moins écoutée que celle de nos collègues masculins. Et puis, je crains de me promener seule à Charleroi. Il arrive que des regards insistants se posent sur moi. Leurs auteurs ne pensent peut-être pas à ce qu’ils font, mais j’ai peur d’être suivie jusque chez moi. Je reçois des commentaires sur la façon dont je m’habille. Lorsque l’on me dit que je suis jolie une fois, cela passe. Mais quand on me le répète quatre fois d’affilée, c’est lourd. Et puis, certaines habitudes de langage m’agacent. Du genre: ‘T’es chiante, t’as tes règles?’”
Voile féministe
Un peu plus loin, une femme voilée. Elle a 36 ans, s’appelle Soumeya Ghilani et travaille comme Data Analyst. Elle fait partie du comité d’organisation des manifestations et a intégré Femmes de Mars il y a deux ans: “J’ai eu une prise de conscience. Les inégalités en Belgique sont de plus en plus flagrantes. J’ai toujours été sensible à ce sujet. Mais le tissu social se délite. Les femmes perdent de plus en plus de leurs droits. La crise du coronavirus n’a fait qu’exacerber ce constat. J’ai décidé de prendre le problème à bras-le-corps.”
Elle aussi dit avoir déjà été victime d’actes sexistes: “Harcelées, agressées... C’est notre quotidien à nous, les femmes. Quand nous postulons un job, nous sommes également victimes de discrimination. À valeur égale, un homme sera toujours privilégié par rapport à une femme, car il ne peut pas enfanter. A priori, il aura donc moins de chances de s’absenter longtemps au boulot. C’est la violence quotidienne à laquelle chaque femme est confrontée. Cela arrange bien la société capitaliste dans laquelle nous vivons. Les femmes sont moins chères. On en profite. Il suffit de penser au système des titres-services et de la pension moindre qu’il procure. Le combat des femmes, c’est aussi une lutte des classes.”
Par ailleurs, le voile islamique qu’elle porte est pourtant assimilé par certains à une entrave aux droits des femmes: “C’est un de mes combats. La Journée internationale des droits des femmes porte bien son nom. Des femmes. Les femmes sont plurielles. Avec mon voile, je suis autant une femme que les autres. Je revendique les mêmes droits. Je veux être visible. Je suis aussi une féministe progressiste.”
À l’école ou dans la rue
Nous continuons notre petit bonhomme de chemin. Pendant ce temps, une des organisatrices appelle les femmes à s’exprimer. Certaines témoignent au micro. D’autres chantent. Du haut de ses 23 ans, Mégane Rondou écoute. La défense des droits des femmes au boulot, l’avortement et la gratuité des protections périodiques sont ses priorités. Éducatrice de métier, elle pointe néanmoins du doigt un thème qui n’avait pas encore été abordé jusque-là: les violences insidieuses à l’école. “Lors des cours de natation, les filles sont séparées des garçons pour qu'ils ne les voient pas en maillot de bain. De mon expérience, certains professeurs masculins prenaient aussi davantage en compte l’avis des garçons.”
Dans la rue, elle a aussi subi des insultes: “Des jeunes m’ont déjà traitée de sale pute. Ou ils m’ont intimé l’ordre de baisser les yeux. J’ai déjà été dénigrée, provoquée aussi. Sans oublier les regards insistants.”
Par contre, elle n’a jamais rencontré le moindre problème de harcèlement ou d’agression verbale dans son milieu professionnel.
La manifestation touche à sa fin dans une ambiance bon enfant. Les organisatrices se dirigent petit à petit vers la Place Verte. Sur le chemin, encore des chants! “On est plus chauds, plus chauds, plus chauds que les machos!” entonnent-elles notamment. Il s’agit de s’échauffer la voix. Une nouvelle assistance les attend. Le combat n’est pas fini.
Retrouvez, ici, toute l’actualité de Charleroi et de sa région.
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