Les laissés-pour-compte de la LEZ à Bruxelles: “Une mesure discriminatoire et anti-sociale”
TémoignagesDepuis le 1er janvier, les véhicules diesel de norme Euro 4 ne peuvent plus circuler sur le territoire de la Région bruxelloise. Depuis 2018 et l’instauration de la zone de basses émissions (LEZ), les véhicules les plus polluants sont progressivement bannis des routes de la capitale. L’objectif de la Région étant de décarboner la mobilité afin d’atteindre la neutralité climatique en 2050. Seulement voilà, on estimait à environ 75.000 le nombre de véhicules Euro 4 qui circulaient encore à Bruxelles à la fin de l'année dernière. Tous n’ont pas les moyens de changer de voiture et regrettent d’être laissés ainsi sur le bord de la route aux entrées de la capitale, comme on peut le constater à la lecture des nombreux témoignages que nous avons reçus.
Maxime CzuprykDernière mise à jour:22-01-22, 17:55
Ils étaient bien sûr prévenus depuis plusieurs années mais depuis le 1er janvier dernier, les propriétaires d’un véhicule à moteur diesel de norme Euro 4 ne sont plus autorisés à circuler en Région bruxelloise. Enfin, pas tout à fait puisqu’ils bénéficient d’une période de transition de trois mois jusqu’au 1er avril 2022, durant laquelle seuls des avertissements seront envoyés aux contrevenants. Après quoi, celles et ceux qui s’y aventureront écoperont d'une amende de 350 euros. Pour rappel, le contrôle des véhicules est effectué par caméra.
Concrètement, cette nouvelle étape franchie par la zone de basses émissions (LEZ pour Low Emission Zone) bruxelloise concerne les véhicules diesel immatriculés avant janvier 2011, et donc âgés de plus de onze ans. Selon l’agence Bruxelles Environnement, il s’agit de la dernière génération de véhicules diesel qui ne doit pas être équipée d’un filtre à particules. Ils émettent des quantités conséquentes de particules fines et ont donc un impact important sur la qualité de l’air et sur la santé des citoyens.
La fin annoncée de l'essence et du diesel
Avec l’instauration de la LEZ il y a quatre ans, la Région bruxelloise vise à bannir les véhicules les plus polluants de son territoire. Décarboner progressivement la mobilité pour améliorer la qualité de l’air, avec l’objectif d’atteindre la neutralité climatique en 2050. En passant, rappelons-le, par la sortie actée du diesel et de l'essence, respectivement en 2030 et 2035.
Pour autant, il est toujours autorisé de rouler avec un véhicule jugé trop polluant, soit grâce à une dérogation (pour les personnes handicapées, sous conditions; oldtimers de plus de 30 ans, poids-lourds; deux-roues motorisés; véhicules prioritaires; ...), soit... en payant. En effet, si votre véhicule ne répond pas aux critères de la LEZ, il est possible d'acheter un pass d’une journée pour 35 euros. Un maximum de huit pass d’une journée peuvent être achetés par an et par véhicule.
Quelles alternatives s’offrent aux (mal)heureux propriétaires d'un véhicule interdit? La Région renvoie évidemment aux transports publics, parfois via les quelques parkings de dissuasion, aux voitures partagées, aux taxis ou encore à la mobilité douce. Des primes sont également accessibles, notamment pour les Bruxellois désireux d’en finir avec la voiture.
Discrimination
Malgré tout, certains automobilistes, qu’ils soient Bruxellois ou navetteurs, n’ont d’autre choix que de circuler en voiture dans la capitale. Souvent, il s’agit de personnes dont les revenus ne leur permettent pas de remplacer leur voiture diesel qu’ils estiment pourtant en parfait état. Pour eux, la LEZ n'est rien d’autre qu’une mesure discriminatoire et anti-sociale.
C'est notamment le sentiment partagé par Jean-Marie, qui a acheté une voiture diesel datant de 2009 il y a quelques années après avoir rendu sa voiture de société. Pensionné, l’homme continue malgré tout à travailler pour arrondir ses fins de mois. Il utilisait principalement sa petite voiture pour se rendre à son boulot d’appoint, au nord de Bruxelles.
“Je conduis un car scolaire, ce qui implique que je dois me rendre au travail fort tôt pour commencer ma tournée. Les horaires de la STIB ne me permettent pas d’arriver à l’heure à notre dépôt à Neder-over-Hembeek. Il me faut donc une voiture pour aller travailler. Je suis aussi motard, mais à 73 ans et en hiver, non merci! Ma passion de la moto se vit, pour moi, à la belle saison uniquement”, nous explique Jean-Marie, qui possède une caravane dans le Namurois et qui a donc besoin d'une voiture pour les bagages et le ravitaillement lorsqu’il s’y rend en été.
“J’ai dû me résoudre à revendre ma voiture pour 500€ pour en acheter une plus kilométrée, plus petite, consommant davantage mais Euro5 essence (dont coût 5.000€) alors que j’avais un véhicule en parfait état”, fustige le septuagénaire. “Cette mesure d’interdiction des diesels Euro 4 me semble être complètement anti-sociale parce qu’elle handicape surtout les gens à faibles revenus qui doivent se contenter d’acheter des occasions, faute de moyens. Certains devront peut-être renoncer à leur emploi. Je pense surtout aux isolés ou aux familles monoparentales pour qui cette mesure est particulièrement dramatique”, insiste-t-il.
Même son de cloche chez Mariane, propriétaire d’une Citroën C3 diesel de 2008, dont le compteur s’élève à 130.000 km. Remise d'un cancer mais souffrant de sclérose en plaques, elle doit se rendre plusieurs fois par an à l’hôpital Erasme, à Anderlecht. Mariane peut toujours s’y rendre en se garant sur le parking de Lennik-Erasme. “Mais si un jour je devrais me faire soigner ailleurs à Bruxelles, ce serait impossible à l’heure actuelle", craint-elle en qualifiant la LEZ de “discriminatoire.”
Des dérogations “trop limitatives”
Titulaire d’une carte de stationnement pour personnes handicapées, Mariane ne peut néanmoins pas prétendre à une dérogation, “trop limitative”, dénonce-t-elle. “Le fait de permettre d’acheter un pass est insuffisant pour beaucoup. Pour ma part j’ai plus que huit rendez-vous par an”, explique-t-elle en insistant sur le coût élevé d’un pass journalier.
C'est également le message transmis par Claude, un retraité wallon dont la vie risque d’être sérieusement impactée par la mise à jour de la zone de basses émissions bruxelloise. “Un souci majeur”, nous dit-il. Et pour cause, son épouse se déplace en fauteuil roulant après avoir subi de multiples opérations à la colonne vertébrales.
“En parcourant le site de la Région Bruxelloise consacré à la zone de basse émission, je suis tombé sur les possibilités de dérogation accordées aux personnes à mobilité réduite, mais à ma grande stupéfaction, rien n’est prévu pour ces personnes si le véhicule utilisé pour leurs déplacements n’a pas été adapté. Dans notre cas, la chaise-roulante y entre après avoir basculé le dossier de la banquette arrière, tant mieux, mais cela représente pour moi, qui suis âgé de 75 ans, une difficulté conséquente”, confie Claude. De plus, deux de leurs enfants vivent à Bruxelles et ils ont besoin d’une voiture pour aller leur rendre visite.
“Nous sommes à la retraite et notre budget, sérieusement impacté par les soucis médicaux, ne nous permet pas de renouveler notre voiture ni à court ni à moyen terme, d’autant plus que celle-ci nous satisfait parfaitement”, explique le septuagénaire, qui estime également que le pass proposé par la Région est bien trop onéreux.
Ex-Bruxellois exilé à Charleroi, Nicolas est propriétaire d’une voiture diesel de 2010, qu’il partage avec sa compagne. “Nous ne possédons qu’une voiture par souci écologique et économique. Elle travaille à Namur et utilise la voiture, moi je travaille à Charleroi et vais travailler soit en deux roues, soit en transport en commun”, détaille Nicolas.
“Je suis attentif à l’environnement dans ma vie de tous les jours, mais je ne suis pas prêt à devenir le cochon payeur d’un gouvernement qui n’est pas en mesure de proposer de solutions efficaces et qui ne voit dans l’environnement qu’un moyen de prélever encore un peu plus de sous aux citoyens.”
Nicolas, un ex-Bruxellois exilé à Charleroi
Le couple se rend régulièrement à Bruxelles pour y voir de la famille ou des amis. Dès lors, Nicolas nous avoue qu’il envisage d’acheter une voiture essence, en plus de leur premier véhicule. Un peu par dépit, ce qu’il regrette.
“Je déplore cette situation. Je déplore le fait qu’on ne mette rien en place pour aider au changement. Je suis attentif à l’environnement dans ma vie de tous les jours, mais je ne suis pas prêt à devenir le cochon payeur d’un gouvernement qui n’est pas en mesure de proposer de solutions efficaces et qui ne voit dans l’environnement qu’un moyen de prélever encore un peu plus de sous aux citoyens”, dénonce-t-il.
“Du racket”
Enfin, c'est la mort dans l’âme que Christian, un Bruxellois habitant à Woluwe-Saint-Pierre, a pris la décision de se séparer de sa Jaguar XType diesel de 2006, qu’il comptait transformer un jour en ancêtre.
“Je roule moins de 5.000 km par an, et mes seuls déplacements avec ma voiture dans la capitale sont soit pour mes courses hebdomadaires près de chez moi, soit pour véhiculer une personne handicapée jusqu’à l’hôpital afin qu’elle puisse effectuer ses examens médicaux ou jusqu’à une enseigne commerciale pour qu’elle puisse faire ses courses”, explique Christian. “J’utilise également ma voiture pour me rendre en périphérie chez deux de mes enfants qui sont voisins à Zaventem, et chez qui je vais ponctuellement chercher ou reconduire des petits-enfants”, nous dit-il.
“Ma voiture étant en ordre de contrôle technique jusque juin prochain, je la garderai donc jusque-là, en payant pour le second trimestre un racket de 350 euros pour avoir la permission de polluer. Ensuite, il faudra que je la revende pour une croute de pain à l’exportation, afin qu’elle puisse encore vraisemblablement rouler une dizaine d’années dans un pays africain”, dit-il avec cynisme.
“Je ne compte pas acheter une autre voiture pour moi-même, je n’ai pas les moyens. Mon épouse possède une petite Ford Fiesta avec laquelle elle va travailler (10 minutes en voiture, 30 à 40 minutes avec les transports en commun). Nous devrons nous en accommoder”, conclut le Bruxellois.