Les musées ont-ils été épargnés en 2020? “La fermeture des autres lieux de culture a sans doute contribué à un engouement”

C’est un fait que plus personne n’oserait contester: la culture fait partie des secteurs qui ont été les plus touchés par la pandémie. Comme tous les lieux de culture, les musées ont dû fermer leurs portes lors du premier confinement à la mi-mars. Jérôme Bruyère, responsable de la communication chez Brussels Museums, ASBL qui représente une centaine de musées bruxellois se souvient très bien de l’annonce par Sophie Wilmès, le 12 mars au soir, du premier “lockdown”. Et pour cause, deux jours plus tard devait débuter un événement phare de la vie muséale bruxelloise: la “Brussels Night Fever”. 

“On s’y attendait vraiment pas. La décision d’annuler a été vraiment très difficile à prendre parce que tout était vraiment prêt. On avait engagé beaucoup de gens, des artistes, des externes. Une trentaine de musées étaient mobilisés. Ce fut un coup très dur pour nous, car nous sommes une ASBL indépendante - elle représente des musées privés, publics, communaux, régionaux ou fédéraux - et on dépend entièrement de ce type d’événements”, confie Jérôme Bruyère. 

En 2021, l’événement devrait heureusement avoir lieu en octobre. Il sera également repensé en fonction des mesures en vigueur à ce moment-là. Les “Nocturnes”, autre rendez-vous annuel organisé par Brussels Museums, ont elles déjà été programmées du 22 avril au 10 juin. Là encore, des adaptations ont été faites. “On pourra visiter les réserves des musées, des ‘standing guides’ (comprenez des guides immobiles, NDLR) donneront des explications sur les œuvres”, précise Jérôme Bruyère.

À la mi-mai, les musées ont pu rouvrir leurs portes. Fin octobre, c'est la “douche froide” de la deuxième vague et les musées baissent à nouveau leurs volets, avant de rouvrir le 1er décembre. “On n’a pas très bien compris la deuxième fermeture”, enchaîne Alexandre Chevalier, président du Conseil d’administration de l’ICOM, le conseil international des musées. “En quoi les supermarchés ou les librairies par exemple étaient-ils moins dangereux que les musées?”, s’interroge-t-il encore. Lors de la seconde vague, la décision de fermer les musées a en effet varié d’un pays à l’autre. Au Luxembourg par exemple, les musées sont toujours restés ouverts.

À Bruxelles, les musées ont connu sur l’année 2020 une baisse de 58% de leur fréquentation. Leurs pertes sont estimées à 20 millions d’euros, selon les chiffres de Brussels Museums. Tous les musées n’ont cependant pas vécu le confinement de la même manière. “Selon leur modèle de financement, les musées ont connu des situations différentes”, explique Jérôme Bruyère. “Évidemment, pour les musées privés qui ne dépendent que de leurs rentrées financières, c’est plus difficile que pour ceux qui ont des subsides.” Le Musée de La Boverie, qui dépend de la Ville de Liège, confirme: le caractère public de l’institution a permis à cette dernière de mieux s’en sortir. “Le personnel est constitué d’agents de la Ville de Liège et les infrastructures nous ont permis de réagir plus aisément aux mesures sanitaires qu’une petite structure culturelle non subventionnée”, nous dit-on.

“En même temps, les subsides, peu importe leur forme, ne couvrent en général pas l’entièreté des dépenses d’un musée", nuance M. Bruyère, de Brussels Museums. “Financer un musée est difficile en ce moment. Le ticketing réalisé pour l’instant ne couvre pas l’ensemble des dépenses liées à leur ouverture. Et là, je pense en particulier aux grandes structures pour lesquels une journée d’ouverture représente un coup très important”, poursuit-il en prenant l’exemple du Musée Royal des Beaux-Arts, qui dépend du fédéral. 

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La position géographique (et donc le public-cible) de l’institution joue également un rôle. “Les musées qui se trouvent dans le centre sont ceux qui souffrent le plus de cette situation, car ils sont privés des touristes étrangers. Les musées dépendent aussi de l’horeca. Si l’horeca est fermé, il n’y a pas de renvoi de visiteurs vers les lieux culturels à proximité”, ajoute-t-il. 

“Les Beaux-Arts ont fait le pari de miser sur les touristes étrangers. D’autres s’en sont mieux sortis lors de cette pandémie car ils attirent davantage les Bruxellois, comme la Fondation Boghossian à la Villa Empain, qui se trouve un peu en dehors du centre de Bruxelles, dans un quartier plus vert (avenue Franklin Roosevelt à Ixelles, NDLR)”, illustre Alexandre Chevalier, de l’ICOM. “Le fait que la Villa Empain soit située à côté du Bois de la Cambre et qu’elle dispose d’un remarquable emplacement semble avoir effectivement contribué à l’affluence des visiteurs”, embraye Caroline Schuermans, de la Fondation Boghossian, dont le taux de fréquentation de mars 2020 à mars 2021 culmine à... 89%. 

“Par beau temps cet été, notre public pouvait profiter des transats qui étaient mis à disposition et se détendre aux abords de la piscine. Aussi, les thèmes de nos expositions font écho de manière singulière à la crise que nous vivons. Avec “Mappa Mundi”, l’évasion était garantie, une sorte de tour du monde en ces temps confinés. L’exposition “The Light House” porte le message qu’à l’instar de la lumière, la culture est ce qui nous éloigne des ténèbres.” Cette dernière est d’ailleurs complète depuis sa réouverture, assure la Fondation, qui s'est rapidement adaptée aux nouvelles conditions sanitaires. 

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La communication avec son public sur les réseaux sociaux, notamment, a été totalement repensée dans le but de créer un lien spécifique avec sa “communauté”, surtout sur Instagram. “Une billetterie en ligne a été mise en place, un nouveau site internet qui prend en compte les nouvelles habitudes des internautes a été créé, un format de conférences en ligne, diffusées en direct depuis la Villa Empain, a été conçu et un compte Soundcloud a été créé pour la diffusion d’une programmation musicale”, énumère Caroline Schuermans. Et ces mesures mises en place fonctionnent: le musée est quasiment complet jusqu’au 18 avril. “Nous observons même un nombre record de visiteurs en semaine 350 par jour, c’est historique! Et nous avons touché un nouveau public: 30% de nos visiteurs ont aujourd’hui moins de 26 ans.”

Certains musées semblent donc avoir tiré leur épingle du jeu en cette année 2020. “Clairement, on est un peu privilégié, c'est plus compliqué pour les autres lieux culturels, mais il faut quand même rappeler qu’il y a des mesures très strictes et celles-ci ont un coût”, rappelle Jérôme Bruyère (Brussels Museums). Avec les salles de cinéma et les théâtres fermés, “il y a eu clairement un report vers les musées”, confirme de son côté Alexandre Chevalier (ICOM). 

Les responsables du musée de La Boverie ne disent pas autre chose. “La fermeture de tous les autres lieux de culture a sans doute contribué à l’engouement remarquable pour les musées”, selon le musée liégeois, qui a enregistré une baisse de fréquentation de moins de 2%. Un chiffre très honorable vu les circonstances et qu'il met sur le compte de la richesse de sa collection permanente et du succès de deux expositions, notamment celle sur Andy Warhol, qui a été prolongée jusqu’au 18 avril. “Sans la Covid, nous aurions sûrement connu une forte hausse”, nous assure-t-on. Caroline Schuermans, de la Fondation Boghossian, va même plus loin. “L’appétence pour les musées et les expositions semble ne jamais avoir été aussi grande”, selon elle.

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“Les musées devront cependant faire attention à maintenir la curiosité des visiteurs une fois que les autres secteurs auront rouvert", pointe Alexandre Chevalier, de l’ICOM. Ce que semble avoir déjà très bien compris la Fondation Boghossian. “Notre offre est complémentaire à celui des théâtres, des cinémas, des festivals… Elle s’adresse à tous les publics: visites sur-mesure pour les enfants, Friday Lates avec sets de musique électronique, conférences sur la géopolitique, concerts…”, conclut Caroline Schuermans.