Noël aux soins intensifs: “On n’en peut plus, on est épuisé”
Jeudi 24 décembre, 13h30. Passage de relais aux soins intensifs du CHU Tivoli à La Louvière. Les infirmiers sur le pont le soir du réveillon écoutent avec attention le rapport de leurs collègues matinaux. Une journée comme une autre, un Noël différent. L’heure n’est pas vraiment à la fête. “Personne ne peut dire que l’on va bien”, confie Yves Bouckaert, médecin-chef. Pourquoi cette crise sanitaire est-elle si éprouvante pour le personnel soignant? À quoi ressemble le quotidien d’un infirmier en USI? Comment les patients vivent-ils ces traditionnels moments de partage, isolés et loin de leurs proches? L’espace de huit heures, nous nous sommes glissés dans la (chaude) tenue de protection indispensable pour traiter les malades Covid-19. Immersion.
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“Cette année, pas de chapeau de Noël pendant le service”, lance Isa, infirmière depuis 30 ans. Difficile de humer un quelconque parfum de fête dans l’aile Covid des soins intensifs de l'hôpital Tivoli. Seules trois discrètes décorations alignées sur le comptoir de l’accueil rappellent timidement la période de fin d'année. Dans la chambre de Jean-Pierre, c’est un sapin esquissé au marqueur sur un tableau magnétique blanc qui tente de disséminer l’esprit de Noël.
“J'ai été admis à l’hôpital le 4 août pour un lymphome et suivre une chimio. J’ai été contaminé dans le service et ai été testé positif à la Covid-19, le 18 novembre dernier”, entame le septuagénaire. “À part le personnel soignant, on ne voit pas un chat. Je peux échanger avec ma femme par téléphone ou internet, mais j’évite de l’appeler trop souvent. Je ne veux pas l’alarmer et parler me fatigue. Je veux la préserver, me préserver. Si j’évite ces efforts au maximum, peut-être que je pourrai partir d’ici et la retrouver plus rapidement que prévu. Cela fait 57 ans que nous sommes mariés. Nous venons d’acheter un nouvel appartement et je lui laisse tout sur le dos.”
“Me lever du fauteuil, un effort colossal”
Discours similaire dans une chambre voisine. “J’évite de parler parce que je sais que cela me fait du mal. Me lever du fauteuil me demande un effort colossal”, avance Francis. “J’ai été hospitalisé pour une autre pathologie et la veille de ma sortie, je suis tombé. Comme si mes jambes n’existaient plus. Le lendemain, j’apprenais que j’avais la Covid-19 et que je devais prolonger mon séjour à l’hôpital. Cela a été très difficile à accepter”, poursuit-il. “On ne voit pas du tout la famille, c’est dur. Heureusement, on peut échanger avec les infirmiers et les médecins”.
“Oui, on est débordé, mais on prend encore le temps de parler aux patients. Ce métier sans l’aspect social, c’est insupportable”, appuie Isa. “Parfois, le service est rempli par des malades intubés et on ne parle à personne, ce n’est pas facile”, enchaîne-t-elle avant d’évoquer, les larmes aux yeux, son cas personnel.
“Ma maman a été touchée par la Covid-19 lors de la première vague. Elle a été admise aux soins intensifs et a été hospitalisée durant trois mois, au total. La voir intubée, en position ventrale, c’est traumatisant. Mes supérieurs hiérarchiques m’ont proposé de travailler exclusivement dans l'aile non Covid des USI durant cette période. Prendre en charge un proche, c’est trop dur.”
Quelques semaines plus tard, elle est elle-même infectée par le virus. “Durant une semaine, j'ai eu 40 de fièvre, mais je n'ai pas voulu être admise à l’hôpital. Des collègues sont venues à la maison m’apporter les soins nécessaires.”
“Personne ne peut dire que l’on va bien”
“La solidarité entre membres du personnel soignant, c’est clairement l’un des motifs de satisfaction de cette crise”, assure Yves Bouckaert, médecin-chef des soins intensifs. “Cette expérience Covid a été extrêmement enrichissante sur le plan humain. On a assisté à une incroyable entraide, surtout durant la première vague. Durant le second épisode, elle a parfois été mise à mal en raison de la fatigue prégnante. Personne ne peut dire que l’on va bien. On est tous épuisés tant physiquement que moralement.”
“Épuisé”, un mot quasiment prononcé en chœur, lorsque l'on demande aux membres de l'équipe matinale comment ils se sentent après neuf mois de crise. “On n’en peut plus”. “Le plus dur, c’est l'équipement”, soupire un jeune infirmier, visiblement ravi de pouvoir ôter l’étouffante tenue dans quelques minutes.
“J'ai des maux de tête tous les jours, causés par la chaleur et la déshydratation”, embraie une jeune mère de famille qui regrette un manque de reconnaissance. “Je viens de recevoir la prime dédiée au personnel soignant. J'ai touché 275 euros. Après la première vague, les employés de BPost et du Colruyt avaient déjà perçu une prime et le montant était plus élevé.”
“Le manque de considération envers cette profession est général. Il peut provenir des médecins, des patients et de la société dans son ensemble”, corrobore le docteur Yves Bouckaert. “Les horaires sont ingrats, certaines tâches à accomplir également et les rémunérations sont moyennes en regard de la charge de travail et de la charge psychologique. De manière générale, les infirmiers sont plus à plaindre que les médecins. Si l’on se réfère uniquement à la crise Covid, il convient de nuancer”, expose le Bruxellois.
“Travailler plus pour gagner moins”
“Cette année, j'ai travaillé deux fois plus et gagné 35% de moins alors que mon service était full en permanence. Les médecins n’ont reçu aucune contribution de la part du gouvernement. À Tivoli, un super mécanisme de solidarité a été mis en place. Lors de la première vague, le conseil médical a décidé de mettre tous les honoraires en commun. Cela a permis à certains praticiens, comme les ophtalmologues et les dermatologues, qui n’avaient plus de boulot de quand même gagner leur vie. En attendant, j’étais là un week-end sur deux, j’allais dormir à 22 heures, me levais vers 4h du matin pour lire la littérature scientifique et organiser mon plan, puis passais une douzaine d’heures à l’hôpital... Tout cela pour perdre environ un tiers de mes revenus. Nous avons la chance d’exercer une profession où l'on gagne très bien notre vie et cela serait déplacé de se plaindre, ce n’est pas du tout mon propos. Mais sur le principe, cela reste anormal de travailler plus pour gagner moins.”
Les nuits courtes et les heures supplémentaires, Arnaud Bruyneel connaît également. “Depuis l'apparition de la crise, je souffre d’insomnies, ce qui n’était jamais arrivé auparavant”, admet celui qui officie comme infirmier en USI depuis onze ans. “J'ai toujours peur de ne pas avoir donné le maximum pour mes patients.” Une crainte exacerbée depuis l'apparition de la Covid-19.
“Accepter de diminuer la qualité des soins”
“Les infirmiers ont du mal à accepter de ne pas faire leur boulot avec une qualité parfaite. Mais être contraint de traiter un plus grand nombre de malades, sans moyens supplémentaires, c’est accepter de diminuer la qualité des soins. En tirant sur la corde, on a donné l’impression aux infirmiers qu’ils faisaient moins bien leur travail”, reprend le docteur Bouckaert.
Et les échappatoires sont limitées voire inexistantes. “Notre vie sociale a été considérablement restreinte, à l’instar de tous les citoyens, et lors des rares moments partagés avec nos amis ou proches, on nous parle du virus constamment. On entend sans arrêt “Je suis content de t'avoir, j'ai justement une question...”On ne sort jamais de la Covid-19. Jamais.”
Autre relation altérée par le coronavirus, celle entretenue avec l’entourage des patients. “Créer un lien de confiance avec le patient et la famille, c’est fondamental. Avec la Covid-19, c’est beaucoup plus compliqué de l’instaurer. Les échanges se font uniquement par téléphone. D’ordinaire, les proches nous voient, ils se rendent compte de ce que l’on fait et de l'état dans lequel les patients se trouvent. Une famille qui a du mal à affronter le deuil, mais voit tous les jours son père, sa mère, son frère, sa sœur, se dégrader, elle va sans doute finir par se dire “c’est mieux qu’il s’en aille”. Dans le contexte actuel, ce chemin ne peut être tracé.”
Celui qui mène au triomphe sur la maladie s'annonce encore long et ardu. “On parle déjà de troisième vague dans les médias, mais la deuxième vague n’est pas encore terminée. Heureusement, on aperçoit des perspectives plus favorables avec l’arrivée du vaccin, mais on entretient également des craintes concernant son approvisionnement et l’adhésion de la population.”
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