Avec “Un héros”, Asghar Farhadi signe une tragédie implacable: “On lui accorde de l’importance avant de le détruire”

Avec ce nouveau long-métrage, le cinéaste deux fois oscarisé renoue avec ses thèmes de prédilection: le recensement des maux qui rendent l’émancipation et le bonheur en société impossibles, après deux films tournés en Europe: “Le passé” (2013) et “Everybody knows” (2018). Avec “Un héros”, le réalisateur nous offre une tragédie magistrale et certainement l’un des meilleurs films de l’année 2021.

“Rahim est en prison à cause d’une dette qu’il n’a pas pu rembourser. Lors d’une permission de deux jours, il tente de convaincre son créancier de retirer sa plainte contre le versement d’une partie de la somme. Mais les choses ne se passent pas comme prévu”, détaille le synopsis du film. Dans cette histoire, le personnage principal va être tenté de rembourser sa dette avec un sac rempli d'or trouvé par sa petite amie. Mais vite rattrapé par sa conscience, le jeune homme va décider de rendre le sac à sa propriétaire, devenant ainsi un héros régional grâce à la médiatisation de son geste. L'histoire aurait pu s’arrêter là. C’était sans compter sur les fléaux qui rongent la société iranienne d’aujourd’hui: le mensonge, la manipulation, les arrangements douteux, les rumeurs et la réputation sur les réseaux sociaux.

Le réalisateur Asghar Farhadi nous explique que l’idée de ce film est née avec sa volonté de représenter un héros aux antipodes de celui souvent mis en avant par Hollywood: “J'ai eu du mal à finir le scénario justement en raison de ce cliché du héros qui nous a été inculqué en partie par le cinéma; c’est-à-dire l’image d’un personnage qui n’hésite pas, qui est extraverti, qui sait où il va, qui va de l’avant quand il est confronté à des obstacles ou défis et qui paie le prix de ses choix. Ici, on découvre un personnage qui est l’exact opposé. C’est un homme qui n’arrive pas à prendre des décisions, il laisse les autres décider pour lui. Il ne s’exprime jamais sur ce qu'il ressent et il n’est pas dans l’action, sauf peut-être à la fin. Donc ce contraste entre le réalisme du personnage et ce qu’on imagine d'un héros a été à l’origine du choix de ce titre.”  

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Dans ce long-métrage iranien, Rahim est propulsé au rang de héros après avoir fait preuve d’honnêteté en rendant un sac d’or à sa propriétaire. Mais ce geste va aussi le mener vers un engrenage de disgrâce. Il va être à la fois manipulé, déshonoré et accusé de mensonge. Cette chute, le jeune homme va notamment la vivre à cause des réseaux sociaux, un média bien présent et influent en Iran: “Au moment où j’écrivais le scénario, je n’avais pas conscience du fait que la question des réseaux sociaux deviendrait aussi présente dans les débats que suscite le film. Je ne pensais pas que ça prendrait une telle ampleur. Ce qui me préoccupe, ce qui est au cœur du film, c’est l’ascension fulgurante d'une personne dans l’espace public, le fait que soudain, on lui accorde une telle importance, avant de finalement détruire ce héros qu’on a créé. Mais oui, aujourd’hui, ces montées en grâce ou disgrâce se font par le billet des réseaux sociaux. C’est l’instrument par excellence du processus social que je voulais décrire.” 

Questionné sur son propre rapport à la dignité, à la réputation, Asghar Farhadi confie: “Pour moi, le plus important, c’est de pouvoir me regarder dans la glace. Au moment de m’endormir, je me demande si je suis en accord avec tout ce que j’ai fait. Mais la dignité, l’image sociale et la réputation ont aussi leur importance. Il ajoute ensuite: “Pour ce qui est du personnage de Rahim, pendant tout le film, il ne prend aucune décision, il n’est jamais déterminant dans ses choix. Par contre, les autres essaient de lui faire comprendre l’importance de la réputation, qu’on pourrait aussi appeler dignité.” Si le jeune homme ne se révolte pas pendant une longue partie du film, une limite est franchie à la fin. Il réagit enfin et devient acteur de son histoire. “Il redéfinit sa propre notion de dignité.”

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Dans le rôle de Rahim, on retrouve le célèbre acteur iranien Amir Jadidi. Avec un jeu bluffant et captivant, l’homme nous plonge directement dans l’ambiance tragique du film. Le réalisateur nous parle de ce travail effectué en amont pour façonner ce personnage unique, ce “héros” ultra-réaliste: “Quand j’ai choisi Amir Jadidi pour le personnage principal, je savais qu’il était l’exact opposé de Rahim: c’est un acteur est très sportif, il est déterminé, très actif. Donc on a d’abord construit le personnage par son aspect extérieur. On a beaucoup travaillé sur son regard, son sourire, sa posture, sa démarche, la manière d’utiliser ses mains, ses doigts. C’est vraiment un travail très détaillé. Je pense que la raison principale pour laquelle je l’ai choisi pour faire ce travail, c’est parce que j’ai perçu chez lui la capacité d’être sur cette limite très fine qui sépare un homme passif et naïf - pour qui on a de la sympathie et de l’empathie - de quelqu’un d’idiot ou de benêt.”

Le film “Un héros” est aussi l’occasion pour Asghar Farhadi de dénoncer subtilement certains rouages de la société iranienne, comme la justice tendancieuse et relative. Le réalisateur précise cependant qu’il ne faut pas faire de son film une généralité. “Bien sûr, on ne va pas forcément en prison en Iran parce qu’on doit de l’argent à quelqu'un ou qu’on commet un faux-pas. Ici, c’est surtout un coup de malchance, un mauvais concours de circonstances. Est-ce qu’une personne va faire de la prison pour une dette en Iran? Cela dépend des documents qui sont signés au moment de l’accord. Si vous signez un papier disant que si la personne ne rembourse pas la dette, l’autre peut porter plainte, alors oui, la case prison est possible." 

Le cinéaste reconnaît que tourner un film en Iran n’est pas aussi simple que dans d’autres pays.“La situation du cinéma iranien est telle que tout dépend d’un choix que vous devez faire au début de votre démarche: est-ce que vous souhaitez que votre film sorte dans les salles de cinéma? Souhaitez-vous que le public iranien soit le premier à voir film votre film? Ou bien acceptez-vous qu'il ne sorte pas en Iran, mais seulement à l’étranger? Si vous voulez que votre film sorte dans les salles iraniennes, vous serez obligé de suivre un certain cheminement." Un choix que le réalisateur a fait. “Pour moi, c’est une priorité que le public iranien soit le premier à voir mon long-métrage. Parfois, à cause du traitement trop direct d’un sujet, le film doit être fait clandestinement. Si vous l’approchez de manière plus subtile, là, votre film a une chance de sortir au cinéma, mais il n’y a jamais aucune certitude. Les règles ne sont pas très claires. On ne vous dit pas ‘ceci est autorisé, ceci est interdit’. Personne ne sait à l’avance.”

“Un héros” du réalisateur Asghar Farhadi dès ce mercredi 22 décembre dans les salles.

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