Deux économistes flamands, deux points de vue sur l’énorme dette wallonne: “Un échec politique”
Lundi, le journaliste de RTL, Christophe Deborsu, était invité sur le plateau de l’émission flamande, De Afspraak, sur la Vlaamse Radio Televisie (VRT). Il y a discuté de la situation budgétaire quasiment catastrophique à la Région Wallonne et de ses causes. D’après lui, la loi de financement n’est notamment pas favorable au sud du pays. Deux économistes flamands se penchent sur la question. Avec un regard différent.
Pour le professeur en Économie du travail à l’Université de Gand (UGent), Stijn Baert, la Région Wallonne doit ses difficultés financières à ses responsables politiques. Il l’a clairement mentionné sur Twitter: “Je suis un grand fan de Christophe Deborsu. Hier (NDLR. lisez lundi) dans De Afspraak, il a fait comme si la Wallonie était une victime de la nouvelle loi de financement. Pourtant, elle en est une actrice évidente. Sa dette explose en grande partie à cause de l’échec de sa politique”.
Globalement, la loi de financement actuellement en vigueur accorde plus d’autonomie fiscale aux Communautés et aux Régions. Cependant, celles-ci sont de plus en plus responsabilisées financièrement au fil des ans. En ce qui concerne les Régions, cela signifie que petit à petit, plus l’une d’entre elle développe des rentrées fiscales, plus elle se voit récompensée par le Fédéral.
Retard accentué
Du point de vue de Stijn Baert, la Wallonie n’a pas mis en place suffisamment d’incitants pour dynamiser son marché du travail: “Ce n’est qu’à partir de 2025 que les Régions sentiront vraiment les conséquences de leur politique au niveau des dotations. Via des réformes, la Wallonie a eu le temps de mettre davantage de personnes au travail. Elle n’a pourtant rien fait. Ou du moins rien de substantiel. 15 ans durant! Malgré l’étau de la loi de financement, la différence entre les taux d’emploi flamand et wallon a même légèrement augmenté depuis 2011: de 9,1 points de pourcentage à 9,3.
Quiconque est en tête d’une course connaît toutefois la loi de l’avance qui se réduit. Le retard entre la Wallonie et les autres régions européennes s’est également amplifié depuis la nouvelle loi de financement. De 5,5 points de pourcentage en 2011 à 7,4 points de pourcentage en 2019. Malgré la menace de la loi de financement, la Wallonie n’a pas du tout rattrapé son retard au niveau de son taux d’activité. Et nous y voilà! Elle n’a même pas vraiment tenté de le faire. C’est ce que nous apprend les accords gouvernementaux de 2014 et de 2019".
Jean-Marc Nollet
Il prend pour exemple les propos tenus par le co-président d’Écolo, Jean-Marc Nollet, dans l’autre émission flamande de la VRT, Terzake: “Lorsqu’on a demandé à Jean-Marc Nollet, dans Terzake en 2019, comment l’accord de coalition permettrait de réaliser l’ambition d’un taux d’emploi supérieur de 5 points de pourcentage, il n’a pas été plus loin que: ‘Euh. Emplois verts. Euh. Investissements’. Et ainsi de suite. Le fait est que l’accord de coalition ne lui a pas non plus donné davantage de munitions.
Les politiciens ne cessent de demander de l’argent pour pouvoir fuir leurs propres responsabilités.
Cet accord ne compte que quatre pages au sujet de l’emploi. Plein de recettes tièdes du passé. Et on attend qu’elles entraînent une augmentation gigantesque du taux d’emploi. Ce sont elles qui doivent faire rentrer les sous. Après quoi, on s’étonne que cela ne produit aucun effet. La politique wallonne ne doit pas pointer du doigt la loi de financement. C’est sa propre faute si elle n’a pas été capable d’améliorer la situation dans la région ces dernières années. Les politiciens ne cessent de demander de l’argent pour pouvoir fuir leurs propres responsabilités. Le citoyen wallon mérite vraiment mieux”.
Inondations
Bien sûr, les inondations qui ont ravagé une partie de la Wallonie n’aident pas. Stijn Baert estime d’ailleurs que “la Wallonie mérite de l’aide pour maintenir sa tête hors de l’eau suite aux incroyables conséquences des inondations”.
Mais il considère également que cela ne constitue qu’une petite partie du problème budgétaire: “Elles (NDLA. les conséquences des inondations) n’expliquent absolument pas la dette colossale. Il est question ici de quelques milliards d’euros sur des dizaines de milliards d’euros”.
Mécanisme de transfert
De son côté, le professeur assistant en Économie à l’Université Catholique de Louvain (KU Leuven), Willem Sas, lui a répondu sur Twitter. Il est beaucoup plus nuancé dans son analyse: “Il est exact que la nouvelle loi belge de financement introduite lors de la sixième réforme de l’État en 2015 réorganise les dotations et donne plus de poids à la responsabilité. (Dotation = enveloppe d’argent fédéral distribuée aux régions en fonction de certaines clés de répartition). Par rapport à l’ancienne loi belge de financement, la Région Wallonne a vu ses recettes diminuer. L’argent du Fédéral est davantage partagé en fonction de la capacité fiscale (Impôts sur les revenus des Personnes Physiques).
Ce montant s’est élevé à quelque 600 millions d’euros en 2015. Afin de rendre cette situation gérable, un ‘mécanisme de transfert’ a été introduit. Il compense les différences entre l’ancienne et la nouvelle loi belge de financement, mais seulement de manière nominale (donc, non indexée sur l’inflation) et pour dix ans, donc jusqu’en 2025. Ensuite, ce mécanisme sera progressivement supprimé, également sur dix ans. Pour la Région Wallonne, le montant transitoire s’élève à 620 millions d’euros qui seront graduellement réduits chaque année à partir de 2025 (62 millions d’euros par an). Dans l’ensemble, cette transition est raisonnablement bien étalée et on ne peut pas parler de choc en 2025. Mais il y a plus...”.
Deux circonstances atténuantes
C’est alors qu’il commence à dévoiler deux circonstances atténuantes en faveur de la Région Wallonne.
La première a trait à l’âge des concitoyen(ne)s: “La version définitive de la nouvelle loi belge de financement négocié en 2013 comprend une section supplémentaire: les efforts d’assainissement et du vieillissement. Il s’agit d’une contribution demandée aux Régions et aux Communautés, pour aider à faire face aux coûts du vieillissement de la population. Le gouvernement fédéral les supporte de manière disproportionnée. Cette contribution se traduit par une réduction des subventions et de leur taux de croissance.
Cela signifie que les Régions et les Communautés reçoivent non seulement moins d’argent chaque année, mais aussi qu’elles en perdent de plus en plus au fil du temps.
Cela signifie que les Régions et les Communautés reçoivent non seulement moins d’argent chaque année, mais aussi qu’elles en perdent de plus en plus au fil du temps. Cela a bien été un choc et cela représente des milliards d’euros. Cette économie imposée par le Fédéral est supportée proportionnellement par toutes les régions et, en termes de recettes et de capacité fiscale, elle l’est même un peu plus encore dans le chef de la Région Wallonne”.
La seconde découle du tax shift instauré par l’ancien gouvernement fédéral de Charles Michel (MR): “Le tax shift sous Michel Ier a sérieusement réduit la base imposable des Régions. L’impôt régional sur les revenus des personnes physiques est prélevé sur les recettes de la taxe fédérale (= centimes additionnels). Et celles-ci ont diminué à la suite du transfert de charges mis en place sous Michel Ier. Comme la Région Wallonne avec ses propres impôts contribue déjà relativement plus à l’épargne du Fédéral, le tax shift n’aide pas (25 pourcents de l’Impôt des Personnes Physiques est régional depuis 2015)”.
Deux grandes conclusions
Willem Sas en tire deux grandes conclusions: “a) Le plus gros choc budgétaire s’est déjà fait ressentir en 2016 et il augmente chaque année (pour toutes les régions et collectivités).
b) Ce choc impacte beaucoup plus fortement la Région Wallonne.
Il est donc question d’une économie imposée par le Fédéral qui a été plus facilement absorbée par la Région flamande, car sa capacité fiscale est plus importante. Ce n’est pas une histoire de responsabilité, car les taux de croissance des allocations et de l’assiette fiscale viennent d’être réduits”.
Par conséquent, il estime que les répercussions de la politique wallonne ne suffisent pas à expliquer les ennuis financiers de la région: “Toutes les régions industrielles occidentales sont aux prises avec les problèmes rencontrés par Charleroi et Liège. Et vous ne pouvez pas les résoudre comme ça. Bien sûr, cela ne signifie pas que des mesures ne peuvent pas être prises avec une stratégie intelligente. Mais, en ce qui concerne la relance, il n’existe malheureusement pas de recette magique avec laquelle les politiciens régionaux peuvent obtenir des résultats instantanés”.
Piste de réflexion
Néanmoins, il prend soin de lancer une piste de réflexion: “Ce dont nous avons besoin pour une véritable responsabilisation, c’est d’un lien plus direct entre la dotation (NDLR. du Fédéral) et le résultat. Par exemple, vous pouvez récompenser une région lorsque le taux d’activité augmente, ou lorsque le nombre de start-ups augmente”.
La Région Wallonne (RW) affiche un déficit ordinaire de 207 millions d’euros pour 2022, en ligne avec la trajectoire d’un retour à l’équilibre à la fin de la législature. Mais il faut cependant y ajouter les dépenses liées à la crise sanitaire, aux inondations et au plan de relance. Au total, le solde brut à financer de la Région dépasse les quatre milliards d’euros (4,134 milliards précisément), les recettes étant annoncées à 15,5 milliards d’euros alors que les dépenses devraient atteindre 19,6 milliards d’euros.
La dette globale wallonne, elle, s’élève à 21 milliards d’euros.
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