La Ville de Charleroi est au bord du gouffre financier: “On habille un cadavre”
Le budget pour l’année 2022 de la Ville de Charleroi a été approuvé lundi soir par le Conseil Communal. Mais cela n’a pas été sans critique. Une bonne partie de l’opposition a tiré à boulets rouges sur l’état des finances communales.
Malik HadrichSource:charleroi.be
“Je remercie d’abord les services de la Ville et surtout les services financiers qui (...) s’apparentent de plus en plus à des services de pompes funèbres. Puisqu’avec beaucoup d’empathie, beaucoup de talent et beaucoup d’adresse, on habille un cadavre. Mais force est de constater que jamais, il ne se relèvera. Si je prends cette comparaison, c’est parce que cela fait plusieurs années, Monsieur le Bourgmestre, que nous vous disons que la Ville est sous baxter. Vous le reconnaissez aujourd’hui. Enfin! Mais vous reconnaissez aussi que la Ville est en état de faillite non pas virtuelle, mais quasiment programmée puisque peu importe les mesures, si on ne change pas de modèle, on court à la faillite, à la banqueroute.
Nous ne sommes pas heureux d’avoir eu raison avant tout le monde et nous ne sommes pas les seuls.
Nicolas Tzanetatos, Chef de file du MR à la Ville de Charleroi
Ce n’est évidemment pas un constat réjouissant. Nous ne sommes pas heureux d’avoir eu raison avant tout le monde et nous ne sommes pas les seuls. Je pense que si vous étiez dans l’opposition aujourd’hui, vous dresseriez exactement le même constat”. Les propos du chef de file du Mouvement Réformateur (MR), Nicolas Tzanetatos, au Conseil Communal de Charleroi laissent place à peu de mansuétude vis-à-vis du budget de la Ville pour l’année 2022. Son groupe politique a d’ailleurs voté contre ce budget.
Budget à l’équilibre
Pourtant, celui-ci est à l’équilibre. Mais la Ville de Charleroi le doit principalement aux soutiens financiers de la Région Wallonne. La première tranche du plan “Oxygène” apportera, par exemple, un coup de pouce de 80,7 millions d’euros.
Afin d’aider les communes à faire face aux coûts liés à l’augmentation des dépenses de transfert et de la problématique des pensions, la Région Wallonne a mis en place un mécanisme d’aide pluriannuel sous forme de prêt pour les années 2022 à 2026. Pour Charleroi, le montant maximal auquel la Ville peut prétendre sur cette période est de 403,5 millions d’euros.
“Je ne sais pas si l’on se rend compte de quoi on parle. On parle vraiment de montants abyssaux” déclare avec satisfaction le bourgmestre, Paul Magnette (PS). “403 millions d’euros sous forme de prêts avec une prise en charge des intérêts par la Région Wallonne elle-même contrairement à ce qui avait été fait dans les années 2017 à 2019. Ces prêts n’auront pas de charge d’intérêts pour nous. Nous ne rembourserons que le principal sur 30 ans et avec prise en charge également par la Région Wallonne de 15 pourcents du capital”.
Solidarité malmenée
Mais cela ne réjouit pas forcément une bonne partie de l’opposition. “Aujourd’hui, vous êtes revenus aux manettes (NDLA. à la Région Wallonne) et vous obtenez des prêts à taux gratuits. Mais ça n’arrange personne! Pas même la Région Wallonne qui elle-même est dans un état catastrophique! C’est notre système complet de solidarité qui est mis en difficulté à travers la gestion qui est la vôtre” tonne Nicolas Tzanetatos.
“Force est de constater qu’à Charleroi, nous n’avons que les inconvénients. En termes de fiscalité, on est au plafond. On ne sait pas taxer plus le Carolo qu’il ne l’est aujourd’hui. Faire des rentrées sur le dos du Carolo, c’est compliqué. En tout cas, c’est compliqué de faire plus. Ce que nous pouvions espérer, c’était d’améliorer les rentrées via le citoyen carolo et via une taxation sur son travail. Mais là encore, nous voyons que l’IPP (NDLR. Impôt des Personnes Physiques) diminue d’un million et demi d’euro. Vous me direz qu’un million et demi sur un budget de la Ville, ce n’est pas grand-chose. Mais quand on n’a rien, c’est déjà beaucoup.
Aujourd’hui, on a des Carolos qui désinvestissent carrément la commune pour aller vivre dans des endroits où il fait mieux vivre. Et vous nous dites tout fièrement, on n’a jamais investi autant.
Nicolas Tzanetatos, Chef de file du MR au Conseil Communal de Charleroi
Aujourd’hui, on a des Carolos qui désinvestissent carrément la commune pour aller vivre dans des endroits où il fait mieux vivre. Et vous nous dites tout fièrement, on n’a jamais investi autant. Si j’avais pris votre discours de l’année dernière, c’était exactement la même chose. On investit des millions d’euros grâce à Thomas Dermine (...) dans des projets sur Charleroi. Mais si tous ces projets ne servent encore qu’à offrir du boulot à des personnes qui vivent en dehors de Charleroi, on a beau avoir la meilleure forteresse, elle ne sert à rien s’il n’y a aucun valeureux guerrier ou soldat pour la défendre. Et aujourd’hui, c’est un peu ça qu’on nous expose.
On investit dans plein de pôles sur Charleroi, dans plein d’immeubles, dans plein de projets grâce exclusivement à l’argent des autres. Et ça ne va aucunement revenir à améliorer la situation financière de la Ville de Charleroi. Car quelle est-elle? C’est une catastrophe. Les dépenses augmentent. On n’arrive plus à gérer les dépenses en termes de pensions et la responsabilité de cotisation”.
62 millions annuels
Pour lui, la Ville de Charleroi doit se regarder dans le miroir et trouver les réponses en son sein: “Quand on essaye d’être bon gestionnaire et je ne dis pas qu’il faut l’être de manière aveugle, on essaye de limiter les dépenses là où on peut. Or, ici, nous constatons qu’on ne les limite nulle part. La Ville continue de dépenser énormément et c’est vrai que les clubs sportifs ont eu des difficultés et il a fallu les aider.
Mais bon sang! Est-ce qu’on continue à dépenser de l’argent qui finalement ne nous appartient plus?
Nicolas Tzanetatos, Chef de file du MR au Conseil Communal de Charleroi
Mais bon sang! Est-ce qu’on continue à dépenser de l’argent qui finalement ne nous appartient plus? Est-ce qu’on continue à dépenser de l’argent qui nous coûte de l’argent? Parce que le coût de nos différents emprunts, c’est 62 millions d’euros par an. 62 millions d’euros. Voilà ce que coûte la mauvaise gestion de la Ville de Charleroi! (...) A long terme, ce seront les générations futures qui vont devoir assumer ce déficit budgétaire qui est extrêmement préoccupant”.
Plan de gestion
L’élu du parti Défi, Jean-Noël Gillard, soulève un autre point: “Ce qui me pose question aussi, c’est l’absence de plan de gestion actualisé. Chaque année, quand nous analysons le budget, nous avons le plan de gestion qui y est accolé. Moi, je considère que le plan de gestion, c’est l’alpha et l’oméga d’une gestion publique saine.
Le plan de gestion doit faire partie intégrante de cette logique afin de savoir comment on maîtrise les dépenses, quelles sont les solutions envisagées, etc.
Jean-Noël Gillard, Conseiller Communal de Charleroi (Défi)
Vous allez évidemment me renvoyer vers la Région Wallonne et me répondre que le travail d’actualisation est en cours. Tout ça est prévu pour début 2022. Mais dans le cadre d’une analyse budgétaire et des circonstances négatives qui sont celles que nous connaissons actuellement, le plan de gestion doit faire partie intégrante de cette logique afin de savoir comment on maîtrise les dépenses, quelles sont les solutions envisagées, etc.”
Des prêts pour des prêts
L’inquiétude n’est pas moins grande chez la cheffe de file du Parti du Travail de Belgique (PTB), Pauline Boninsegna: “À Charleroi, le fonds de pension se vide. En octobre dernier, on avait déjà sollicité un prêt à la Région Wallonne pour rembourser ces cotisations (NDLA. de responsabilisation). Donc, des prêts qui remboursent des prêts. Et la Ville se retrouve à devoir emprunter sans cesse pour payer les pensions des agents. C’est un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue. (...) Ce budget dépend énormément de l’ensemble des prêts qui sont concédés par la Région Wallonne.
Le prêt Oxygène accordé à hauteur de 80 millions d’euros par la Région Wallonne en est un exemple criant. Et la charge de ces prêts continue d’augmenter. La dépense de dettes est passée à 56 millions d’euros en 2020 et à 61 millions d’euros en 2021. Aujourd’hui, pour 2022, on prévoit déjà 63 millions d’euros. Les charges d’emprunt au CRAC (NDLR. Centre Régional d’Aide aux Communes) augmentent de trois millions d’euros par an. Les charges d’emprunt Pension tournent chaque année autour de sept ou huit millions d’euros. Ce n’est pas tenable pour une ville de vivre à crédit.
Va-t-on encore couper dans les services publics, les services pour le citoyen? C’est soit ça, soit on augmente certaines taxes pour permettre de lever plus de recettes.
Pauline Boninsegna, Cheffe de file du PTB au Conseil Communal de Charleroi
Cela est d’autant plus vrai que nous constatons une baisse de certaines recettes comme celles en matière d’IPP. La crise sanitaire et sociale a inévitablement joué un sale tour aux finances de la Ville et à celles des autres niveaux de pouvoir qui nous accorde nos propres prêts. (...) Va-t-on encore couper dans les services publics, les services pour le citoyen? C’est soit ça, soit on augmente certaines taxes pour permettre de lever plus de recettes. Selon nous, c’est dangereux de dépendre de prêts comme la Ville de Charleroi le fait. Ça nous mène à accepter des situations comparables à celles des villes de Mons ou de Namur”.
Fonds des communes
Mais elle estime que la bouée de sauvetage se trouve à d’autres niveaux de pouvoir: “La dotation du fonds des communes, cela représente notre plus grosse rentrée financière à la Ville de Charleroi. Elle est censée être le filet de sécurité entre les communes riches et les communes pauvres. Or, là où elle représentait encore 70 pourcents de nos rentrées financières il y a quelques années, elle n’en représente plus aujourd’hui que 33 pourcents (...). Ce fonds n’est plus suffisant pour alimenter les communes et répondre aux besoins de la population. Il faut le refinancer”.
À ce propos, Paul Magnette la rejoint.
Investissements
Dans son communiqué de presse, la Ville de Charleroi souligne aussi qu’elle investit énormément “afin d’améliorer le cadre de vie des citoyens, de soutenir le développement urbain et de faire face aux enjeux climatiques et de mobilité”.
Plus de 330 millions d’euros ont été inscrits au budget extraordinaire pour le financement des investissements.
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