Les producteurs d'énergie réalisent des bénéfices énormes alors que les prix explosent: faut-il les taxer davantage?

Alors que les consommateurs ne peuvent plus échapper aux prix élevés de l’énergie, les grandes entreprises énergétiques ont engrangé d’énormes bénéfices ces derniers jours et semaines. Hier, Engie a annoncé qu’elle avait réalisé un bénéfice net de 3,7 milliards d’euros l’année dernière. 

Et cela peut encore monter plus haut: TotalEnergies, qui est actif dans notre pays avec ses stations-service et la reprise de Lampiris comme fournisseur d’énergie, a affiché la semaine dernière un bénéfice record d’environ 14 milliards d’euros. La compagnie pétrolière américaine Exxon Mobil (avec un bénéfice net de 20,5 milliards d’euros en 2021), le groupe énergétique britannique BP (6,7 milliards d’euros) et la grande compagnie pétrolière et gazière britannique Shell (18 milliards d’euros) ont présenté les meilleurs résultats.

Les prix de l’électricité et du gaz ne sont pas les seuls à avoir atteint un niveau historique au cours des six derniers mois. Les prix du pétrole, eux aussi, sont maintenant à leur plus haut niveau depuis sept ans. Dans le même temps, force est de constater que ces mêmes entreprises ont été durement touchées en 2020. La pandémie a pratiquement paralysé l’économie mondiale, entraînant des pertes énormes. Par exemple, il y a deux ans, Engie a affiché une perte de 1,5 milliard d’euros, TotalEnergies a enregistré une perte de 6,3 milliards d’euros, Exxon Mobil a subi une perte de 19,7 milliards d’euros, BP était dans le rouge de plus de 17,5 milliards d’euros et Shell a subi une perte record de près de 19,4 milliards de dollars.

Et pourtant, les énormes bénéfices de 2021 ne sont pas seulement une compensation de l’année précédente. L’année dernière, le bénéfice de TotalEnergies a été le plus élevé depuis au moins 15 ans. Engie, elle aussi, a réalisé un bénéfice net plus important que ceux de la période pré-covid. Les chiffres actuels des bénéfices contrastent donc douloureusement avec les factures d’énergie élevées que de plus en plus de familles reçoivent, ou avec le prix qu’elles paient à la pompe.

“Toutes ces entreprises ne sont pas comparables”, déclare Johan Albrecht, professeur d’économie environnementale à l’Ugent et membre d’Itinera. “L’électricité, par exemple, n’est pas si importante pour TotalEnergies, alors qu’Engie a beaucoup d’actifs en Europe pour produire de l’électricité. Mais pour toutes ces entreprises, le prix de l’énergie fossile est en hausse depuis huit mois, si bien qu’elles vendent leurs produits énergétiques à des prix élevés.

“Une entreprise comme Engie possède ses propres centrales nucléaires et à gaz”, poursuit M. Albrecht. “Ils produisent donc leur propre électricité. Ils en vendent une partie longtemps à l’avance. On ne peut rien faire contre ces prix. Mais lorsqu’il s’agit des prix élevés de l’énergie, nous parlons des marchés à court terme, où tous les records ont vraiment été battus ces derniers mois. Grâce à une stratégie intelligente et à une meilleure disponibilité des centrales nucléaires belges - qui ont fonctionné 92% du temps l’année dernière contre seulement 63% l’année précédente - Engie a pu répondre aux prix élevés avec sa propre production et vendre une partie de sa production sur les marchés à court terme. De plus, il n’y a qu’un seul prix sur le marché à court terme, qui est déterminé par la dernière centrale électrique la plus chère du processus. Toute l’énergie offerte sur le marché à court terme est vendue à ce prix. Même ce qui - à un faible coût de production - provient d’une centrale nucléaire ou d’une éolienne, par exemple.”

Tout cela explique les bénéfices élevés des entreprises. Dans le même temps, de plus en plus de consommateurs se débattent sous la pression de factures énergétiques élevées. “Bien sûr, le prix du gaz a également augmenté pour votre fournisseur de gaz”, explique le professeur Albrecht. “De plus, ces entreprises prennent également des risques. L’Europe a commencé à libéraliser les marchés de l’énergie il y a 25 ans et les prix variables en sont une conséquence logique. Tous les joueurs devraient en tirer le meilleur parti.”

Réduire les profits, comme cela a été suggéré ici et là ? La rentabilité d’Engie en particulier est déjà en partie freinée dans notre pays par la hausse de la contribution nucléaire, une taxe qui a atteint un peu moins de 150 millions d’euros. Y a-t-il plus à faire ? “Le consommateur gémit, le secteur se réjouit. C’est la perception que beaucoup de gens ont et cela suffit à beaucoup pour plaider en faveur de taxes supplémentaires”, déclare le professeur Albrecht.

“Si ces entreprises, grâce à une bonne stratégie, réalisent de gros bénéfices - ce qui est parfaitement admissible dans un marché libéralisé -, elles paient normalement beaucoup plus d’impôts et le gouvernement peut utiliser ces recettes fiscales pour financer des mesures sociales. Mais certaines multinationales - par rapport à une petite PME - paient peu d’impôts. Il s’agit d’un problème de longue date. En même temps, en tant que gouvernement, vous devez être cohérent et éviter l’arbitraire. Il est difficile d’augmenter soudainement les impôts de manière significative pour certaines entreprises, simplement parce qu’elles réalisent de gros bénéfices. Pfizer devrait alors soudainement payer des impôts supplémentaires également. Cela doit être couvert correctement d’un point de vue juridique, car sinon, c’est une sorte d’arbitraire et vous interférez avec le libre fonctionnement du marché.”

Les bénéfices d’Engie font bondir le président du PTB, Raoul Hedebouw, qui a déclaré sur Twitter que le gouvernement devait tenir sa promesse et que “personne ne peut s’enrichir alors que les gens ne peuvent pas payer leurs factures”

Le consommateur n’est pas le seul à ressentir les prix élevés de l’énergie. Les petits fournisseurs d’énergie - contrairement aux grands acteurs - ressentent également la flambée des prix de manière négative dans leurs portefeuilles. 

“Beaucoup de ces petits fournisseurs ne disposent pas de leur propre production d’énergie”, explique M. Albrecht. “Ils n’ont pas de centrales électriques ni de parcs éoliens et solaires. Par conséquent, ils doivent acheter toute leur énergie et la revendre ensuite. Dans des circonstances normales, ils ont une marge suffisante, mais les fournisseurs qui n’étaient pas suffisamment couverts ont vu leurs réserves financières s’épuiser à une vitesse record en raison des prix extrêmes.”