“Il n’y a que les idiots pour envoyer des cartes postales à l’administration pénitentiaire”

Un courrier recommandé adressé à la direction de la prison de Turnhout ce lundi. Et à l’intérieur, une enveloppe contenant une carte postale affranchie en Thaïlande et censée être envoyée par le détenu Oualid Sekkaki, frère du célèbre Ashraf Sekkaki aka le “roi de l’évasion” depuis qu’il s’est fait la belle à bord d'un hélicoptère depuis la prison de Bruges. “Salutations de Thaïlande”, ironisait la missive. Pour attester de la véracité de son départ à l’autre bout du monde, Sekkaki a pris soin d’y (faire?) ajouter son badge de détenu, une photo d’identité avec son nom que chaque détenu est censé porter quand il sort de sa cellule. 

Bien évidemment, au-delà du côté cocasse de la situation, rien n’indique que c’est bien Sekkaki qui a envoyé le courrier. Un fugitif qui parviendrait à rejoindre l’Asie du sud-est en avion sans être inquiété, de surcroît si rapidement, et qui se tirerait une balle dans le pied en indiquant où il se trouve? Le scénario est filmique, mais pas très réaliste, même pour une famille où le crime rime avec panache.

Dans la famille Sekkaki, du moins dans la fratrie, on fait généralement preuve de compassion pour les évasions, “conséquence logique pour une victime d'un système injuste”, confiait en 2009 le cadet, Nassr-Eddine, 18 ans à l’époque de la fuite de son aîné. Il pointait du doigt les mauvais traitements dans les prisons belges. Finalement repris et incarcéré au Maroc, Ashraf y a en effet vu plus aisément sa famille, mais a surtout depuis sa cellule dirigé un vaste trafic de drogues actif à Malines, via ses frères Nassr-Eddine et Oualid. Il a ensuite encore tenté de s’échapper à plusieurs reprises. 

Cet esprit de famille conforte la thèse de l’arrogance d’un Oualid Sekkaki glorieux sur une plage de Thaïlande et qui jugerait de bon ton de faire un pied de nez aux autorités belges. Mais de source proche de l’enquête, on en doute. “Est-il assez stupide pour trahir l’endroit où il se trouve?”, murmure-t-on.

Car envoyer ses “compliments” à l’administration pénitentiaire, c’est en effet un peu le niveau zéro de la stratégie d'un malfrat en fuite. “Ce sont les criminels avec le plus gros égo qui nous narguent avec des cartes postales”, explique Martin Van Steenbrugge, ancien chef de la FAST-team qui recherche les fugitifs. “Les plus malins se font discrets”, ajoute-t-il. 

“J’ai déjà reçu des lettres de criminels recherchés. C’était rare, mais ça pouvait arriver”, se souvient-il. “Mais la plupart ne sont pas envoyées depuis la vraie adresse où ils se terrent. Ils le font d’ailleurs parfois aussi pour mettre la police sur de fausses pistes. Mais parfois, les courriers viennent bel et bien du pays où ils se cachent. Ils veulent montrer qu'ils ont réussi à nous échapper: Regardez, ici, je suis en sécurité!”.

“Une fois, j’ai même reçu un appel au bureau d'un fugitif qui appelait pour se vanter. Ils pensait qu’il nous avait bien eus. Sauf que son numéro de téléphone n’était pas suffisamment protégé et qu'il s’est affiché sur notre poste fixe. Nous avons su le localiser très rapidement: il était en Espagne. Nos collègues espagnols n’ont plus eu qu’à le cueillir sur le champ”, s’amuse-t-il.

Quant à Sekkaki, il n’est pas le premier à écrire “de” Thaïlande à l’administration belge. Paul Paulus Meyer, un célèbre trafiquant de drogue qui s’était échappé après une saisie record au port d’Anvers, avait lui aussi envoyé, avec des complices, une carte aux enquêteurs anversois en 2007. Comble du raffinement, ils avaient imprimé leurs trois derrières nus et, au verso, écrit “Compliments de Thaïlande”.

Ils étaient bel et bien dans le pays d’Asie du sud-est, où Meyer s’était acheté un luxueux resort avec cinq villas, un hôtel et un camp d’entraînement pour boxeurs thaï. Il y vivait avec son épouse et les deux autres bandits qui s’étaient associés à lui en Belgique. Ils étaient alors “intouchables” car, à l’époque, aucun mandat d’arrêt international ne pouvait être décerné. Rira bien qui rira le dernier, comme le veut l’adage: la police anversoise a finalement eu le dernier mot en octobre 2007, lorsque les agents thaïlandais ont encerclé son domaine et l’ont jeté en prison sur place, pour un an, avant de purger sa peine en Belgique. Quant à Sekkaki, tout indique que l’histoire n’est pas finie.