La victime grièvement blessée lors de l’attaque à Schuman se confie: “Je ne suis pas en colère”

“La douleur est supportable”, dit-il en déplaçant sa main gauche, totalement enveloppée dans des bandages, sur son lit d'hôpital. “Au début, c’était difficile, mais j’arrive à mieux dormir maintenant. Je me refais à chaque fois la scène dans ma tête.” Paul a un regard et un visage doux, sur lequel on voit encore quelques égratignures. Les cicatrices les moins graves de la violence qu’il a subie voilà quelques jours.

L’étudiant allemand est la première victime de l'assaillant de 30 ans. “Je rejoignais ma copine flamande, Larissa*. Nous avions rendez-vous à Laeken”, explique-t-il. Le jeune homme était assis sur un siège juste à côté de la porte de la rame de métro. “J’avais un casque sur la tête, j’écoutais Deep in Love, une magnifique chanson d’amour de Bonny Light Horseman.”

Alors que Paul écoute la musique, le métro s’arrête à la station Schuman. Les portes s’ouvrent. “Du coin de l’œil, je vois un homme un peu grassouillet monter à bord. Il passe d’abord à ma gauche, puis se retourne soudain vers moi. Avec mon casque, je n’entends pas ce qu'il me crie exactement, mais je vois qu’il s’énerve sur moi. Son visage transpire de rage.” Les choses se précipitent, Paul se souvient que son casque tombe sur le sol. “Je l’entends alors m’appeler ‘fils de p***’ en français. Puis j’aperçois quelque chose briller dans sa main. Je m’imagine encore que c’est une tige en métal. Mais à ce stade, je ne réalise pas qu’il peut s’agir d'un couteau. Tout va alors beaucoup trop vite, je n’ai pas le temps de tout voir distinctement”, décrit-il, avant de devenir silencieux durant quelques instants.

“Je suis, à vrai dire, toujours sous le choc. J’essaye tant bien que mal de comprendre ce qu’il s’est passé. Je me souviens avoir eu mal, bien que je ne pense pas l’avoir ressenti directement.” Tout s'est déroulé en seulement quelques secondes, confie-t-il. “J’étais tranquillement assis sur mon siège, puis, soudainement, je me suis retrouvé sur le sol. Je me souviens de la panique des gens autour de moi, je me souviens de ma propre panique. Je ne sais plus si les autres passagers ont crié, c’est un trou noir. Je suis pourtant resté conscient durant toute l’attaque. Je refoule peut-être certaines choses. Mais je pense bien avoir eu peur pour ma vie.”

Paul a été gravement blessé à la main et au bras. “Probablement parce que j’ai essayé de me protéger de lui et de son couteau.” L’étudiant a également été touché à la poitrine, et a perdu beaucoup de sang. “Je préfère ne pas parler de mes blessures, j’essaye d'y penser le moins possible. Je veux rester positif et pouvoir me remettre au sport le plus vite possible.” Il raconte que ce qui l’aide à faire le vide, c’est courir dans un parc ou de jouer au basket.

Le jeune homme a vu passer plusieurs vidéos de l’attaque sur les réseaux sociaux. C’est la première fois qu’il revoyait son agresseur. “Cela m’a permis de découvrir de nouveaux éléments. Plein de choses m'ont échappé. Je ne savais pas, par exemple, que cet homme avait blessé deux autres personnes.” Les deux autres victimes - un homme de 40 ans et une femme de 47 ans - n’ont été que légèrement blessées et ont déjà pu quitter l’hôpital.

Paul ne tient pas non plus à accabler sur l’assaillant. “Je ne suis pas en colère, je dirais plutôt confus, parce que je n’arrive toujours pas à comprendre, et parce que je suis encore sous le choc, je crois. C'est tout simplement ce que je ressens à l’heure actuelle. La colère prendra peut-être prochainement le dessus plus tard, qui sait.” Tout au long de son récit, le jeune étudiant garde son calme, il ne hausse jamais la voix. Sa petite amie rigole tout en caressant sa main épargnée par les évènements. “Paul n’est pas du genre à crier. C’est le calme et la tranquillité incarnés.”

Les deux amoureux échangent un regard en souriant. L’étudiant raconte comment ils se sont rencontrés via le frère de Larissa, qui est l’un de ses bons amis. “Cela fait trois ans que nous sommes ensemble. Je rends régulièrement visite à Larissa en Belgique. Je reste parfois quelques jours, parfois quelques semaines.” Ses yeux verts se mettent soudainement à briller. “C’est ma dernière année d’études. Nous avons prévu d’habiter ensemble... oui oui, ici, en Belgique (il rit). Le fait d’avoir été agressé à Bruxelles ne change rien à nos plans. Ce qui m’est arrivé ici aurait pu arriver dans n’importe quelle ville”, balaie-t-il avec beaucoup de recul.

Le jeune homme de 25 ans a lu plusieurs articles sur l’attaque, dont le témoignage du père de l’assaillant, qui décrit son fils comme étant quelqu'un de “bipolaire, mais pas dangereux”. “Je ne ferai pas de commentaire”, répond Paul. Il préfère penser au moment où il sortira enfin de l’hôpital, même si la date n’a pas encore été fixée. “Mais ça va, puisque Larissa vient souvent me voir.” Si l’étudiant allemand préfère rester anonyme, c’est parce qu’il ne veut pas que les gens se souviennent de lui comme “la victime du métro de Schuman” durant le reste de sa vie. “Je me rends surtout compte qu’au fond, j’ai eu de la chance”, conclut-il.

* Larissa est un nom d’emprunt

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