Les camarades de baptême de Sanda Dia s’en veulent: “Ils se demandent pourquoi ils ont survécu et pas lui”

Sanda Dia, 20 ans, et ses comparses s’attendaient à un bizutage corsé afin d’intégrer le cercle Reuzegom de l’université de Louvain, fin 2018. Mais l’étape finale du baptême estudiantin a dépassé commune mesure, avec deux jours de tortures. Jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Le premier soir, le 4 décembre 2018, les trois candidats au cercle ont été sommés de se saouler au maximum, en consommant chacun une bouteille de gin et une kyrielle de bières. Pas question de récupérer durant la nuit et jusqu’à midi le lendemain, comme dans la plupart des baptêmes. Ni même de boire de l’eau. Sur le terrain où le bizutage avait lieu, tous les robinets d’eau avaient été coupés par les membres du cercle. Le lendemain, le 5 décembre, le trio d’aspirants au Reuzegom, bien que mal en point, étaient attendus près d'une cabane à Vorselaar. Après des heures d’humiliations - on leur a uriné dessus, ils ont été obligés de vomir les uns sur les autres, de boire des litres d’huile de poisson et de gober des poissons rouges vivants - dans un trou rempli d’eau glacée, Sanda Dia n’a soudain plus donné signe de vie. 

Il est alors finalement allongé près du feu de camp par ses amis pour le réchauffer et retrouver ses esprits, mais il ne reprend pas conscience. Ce n’est que deux heures plus tard qu'il est amené à l’hôpital. Sa température corporelle est alors de 27,2 degrés. Le 7 décembre, il décède à l’UZA après la défaillance de plusieurs organes vitaux en raison de l’énorme quantité de sel contenue dans l’huile de poisson ingérée. Les deux autres étudiants, qui souhaitent pour l’heure toujours rester anonymes, sont choqués mais ont survécu à ces deux jours d’enfer.

Het Laatste Nieuws a rencontré leur avocat, qui s’exprime en leur nom pour la première fois.

Kris Luyckx: “L’un d’eux a dû y passer une nuit, l’autre a dû y rester deux nuits. Ils présentaient également des taux beaucoup trop élevés de sel dans l’organisme et étaient en légère hypothermie à leur arrivée à l’hôpital. Ils réalisent qu’ils ont, eux, frôlé la mort ce jour-là.”

“Ils savaient qu'ils devraient aller très loin. Au départ, il y avait dix candidats au cercle, mais seuls eux trois sont arrivés jusqu’à l’étape finale. Les sept autres n’en pouvaient plus, ils ont arrêté. Mais le trio de tête ne s’attendait évidemment pas à ce que le bizutage prenne des proportions inhumaines et contraires à la loi, non. J’ai été moi-même maître de baptême il y a trente ans et chez nous, le côté ludique primait. C’était à Bruxelles à l’époque, et je me souviens des 40 baptisés, garçons et filles, nus. Mais les temps ont changé. Le cercle Reuzegom n’a, lui, pas évolué en ce sens et maintient depuis des années des traditions et rituels dépassés. De plus, le groupe est excessivement fermé et en son sein, des règles extrêmement strictes protègent le secret”.

“D'un point de vue juridique, ce sera en effet la question centrale: y avait-il bel et bien à tout moment un consentement pour tous les traitements dégradants infligés? Mes clients n’ont eux-mêmes vraiment pris que plus tard la mesure de ce qu’ils ont subi dans ce puits d’eau glacée. Dans “l’euphorie” du moment, sans doute que oui en raison de l’effet de groupe ou de la pression qu’on leur a mise, mais avec le recul, ils n’auraient jamais participé à tout cela”.

Il réfléchit. “Le fait que mon confrère Sven Mary (qui défend les intérêts du père de Sanda Dia N.D.L.R.) épingle leur propre responsabilité fait beaucoup de mal à mes clients. Car c’est justement eux qui ont vu que l’état de Sanda se dégradait rapidement et ont crié à l’aide. Ils ont démontré aux autres membres du cercle présents qu'il allait vraiment mal et c’est précisément eux qui, sans aide, ont tiré la victime du puits et ont essayé de le mettre en sécurité. Les maîtres de baptême et les autres membres du Reuzegom ont jeté un regard de temps à autre et ont fini par l’emmener à l’hôpital. Vous l’avez dit: le parquet ne veut pas poursuivre mes clients, et c’est parce qu’ils ne sont pas responsables de la mort de leur ami. Ils sont dans un tourbillon d’émotions: ils sont en deuil pour leur ami et réalisent qu'ils ont échappé à la mort. Et à côté de cela, ils ont du mal à se défaire de leur amitié profonde pour certains des auteurs. Ils ont vraiment grandi avec certains d’entre eux”.

“Ils ne se sentent pas responsables ou coupables de sa mort, justement parce qu’ils ont essayé de le sauver. Par contre, ils sont en proie à une question: pourquoi ont-ils survécu, mais pas Sanda?”

“Comme je l’ai déjà dit: l’amitié de mes clients avec plusieurs auteurs remonte à leur enfance, au début de leur adolescence. Vous ne pouvez pas vous en défaire si facilement. Mais selon moi, il n’est pas question d’omerta non plus. L’enquête a été très approfondie. Mes clients ont raconté tout ce qu’ils ont pu. L’un d’entre eux est encore régulièrement en contact avec les parents de Sanda, justement parce qu'il veut tout leur dire et faire le deuil de son ami. Quant aux auteurs, on verra qui parmi eux se comporte comme un homme: qui prendra ses responsabilités et qui ne le fera pas”. 

“Vendredi, la chambre du conseil décidera si les 18 membres du Reuzegom devront comparaître au tribunal, ce qui paraît d’ailleurs évident. Mes clients espèrent surtout un procès serein, où chacun prendra ses responsabilités. On ne va pas jouer aux vengeurs masqués ou demander des dommages et intérêts exorbitants, mais nous voulons être reconnus comme victimes dans cette affaire. Et oui, les responsables devront être punis. Afin de mettre un terme à cette longue souffrance. Mes clients demandent également à ce que tous ceux qui n’ont rien à voir avec le cœur de l’affaire - comme GAIA qui veut venir défendre les droits des poissons rouges avalés durant le baptême - restent à l’écart du procès. Il en va de même pour l’université de Louvain, qui se pose comme ‘partie lésée’ dans le dossier. Le procès sera déjà assez lourd comme cela pour ces jeunes gens qui ont perdu leur proche. Pour certains, le deuil ne pourra commencer qu’après le procès”.