“Dire à une femme d’adapter son comportement en rue pour ne pas se faire agresser, c’est penser à l’envers”
Interview“J'ai voulu écrire un livre engagé et radical, accessible et convaincant”. C’est par ces mots que Lauren Bastide, combattante féministe, journaliste et créatrice du podcast “La Poudre”, débute “Présentes”. Lauren Bastide croit fermement que pour que les femmes soient respectées et valorisées, il faut œuvrer à ce qu’elles soient vues et entendues. Et ce n’est malheureusement pas le cas dans la rue, dans la politique ou dans les médias. Lauren Bastide prend la plume et tire à boulets rouges sur cette société qui ne donne toujours pas aux femmes la place qu’elles méritent. C’est un livre qui pousse évidemment à réfléchir et à faire mieux. À mettre entre toutes les mains, surtout celles des plus sceptiques qui prononcent le mot “féministe” du bout des lèvres, comme s’il s’agissait d'une insulte.
Déborah LaurentDernière mise à jour:07-10-20, 11:25
Comment faites-vous pour porter ce combat ? Parce que si c’est un combat nécessaire, c’est aussi une guerre épuisante.
Je ne vais pas vous faire croire que je suis dans un état émotionnel hyper stable, que je suis toujours confiante et optimiste. Ce combat a évidemment un impact émotionnel. Je suis heureusement plus capable de canaliser ces émotions qu’il y a deux ou trois ans. Quand ça fait cinq ans qu’on se saisit de ces émotions-là, on doit savoir mettre certaines attaques de côté. On ne peut pas être en colère tout le temps. Il y a trois ans, j’étais en rage en permanence. Je n’aurais d’ailleurs pas été capable d’écrire ce livre. Aujourd’hui, je prends soin de moi parce que je sais que mon corps et mon esprit, ce sont mes armes de guerre.
Les attaques sont particulièrement virulentes sur les réseaux sociaux. Vous racontez avoir été insultée de nombreuses fois sur Internet. Comment on fait pour gérer ça?
J’ai fermé mon compte Twitter, le coût émotionnel était trop élevé. J'ai mis du temps à le faire, c’était un outil qui me semblait indispensable pour la bonne continuation de mon combat. Mais il y avait trop d’insultes et de violence, on n’en sort pas indemne. Je me suis rabattue sur Instagram, où les gens sont plus gentils. Les réseaux sociaux ont pris une part beaucoup trop importante dans nos vies. Je ne veux pas faire la vieille réac en disant que j’ai 40 ans et que j’ai connu un monde sans Internet mais par moment, il faut rappeler l’importance de se remettre dans les vraies relations humaines. On peut discuter avec des gens avec qui on n’est pas d’accord dans un diner et avoir une discussion constructive. Et puis, on peut croiser aussi des gens qui sont vraiment d'accord avec nous et ça fait du bien. C’est important d’être dans le réel.
Vous n’y allez pas avec le dos de la cuillère dans “Présentes” mais est-ce qu’on a le droit d’être féministe à moitié? D’être moins radicale? Ou ça veut dire qu’on n’est pas féministe ?
Toute femme qui se déclare féministe est féministe. C’est déjà un geste politique d'affirmer. On a le droit d’avoir les opinions qu’on veut. Je ne suis personne pour expliquer aux gens ce qu’ils doivent penser. Comme dans tout mouvement politique, il y a des personnes modérées, des radicales, des réformistes. En tant que journaliste, j’essaie de me faire la voix d’un maximum de courants et de revendications et de trouver ce qui les relie, ce qui les renforce les uns les autres.
En parlant des femmes et de la rue, vous dites qu’on répète sans cesse aux femmes de ne pas sortir le soir, de prendre leurs précautions, d'adopter des stratégies pour ne pas se faire agresser. On dit: ne va pas dans les rues mal éclairées au lieu de proposer de mieux éclairer les rues.
Oui et en fait, Internet ou dans la rue, c’est pareil: on dit aux femmes arrêtez d’y aller, c’est dangereux. C’est ça qu’on appelle la culture du viol, on fait peser la culpabilité du viol sur la femme, c’est une belle entourloupe. Dire à une femme d’adapter son comportement en rue, c’est penser à l’envers, c’est refuser de repenser les structures qui permettent ces agressions et ces viols. Récemment, il y a eu une polémique en France au sujet de la longueur des vêtements que les filles doivent porter pour espérer ne pas être agressées. La réaction saine aurait été de dire: on va organiser des cours d’éducation dans les écoles pour que les garçons arrêtent d’ennuyer les filles. En plus, on répète sans cesse que la ville est une jungle, que les femmes y sont en danger mais en fait, le plus grand danger, il se trouve chez elles. Le viol se déroule surtout dans la sphère privée. Il ne faut pas se laisser berner par ces outils de contrôle social.
Vous parlez des manuels scolaires dans lesquels on détaille l’organe sexuel du petit garçon: on montre le gland et les testicules, alors qu’il n’y a aucun détail au sujet de l'anatomie de la petite fille. Comment fait-on pour éduquer des enfants féministes?
Quand on veut donner à nos enfants une éducation non genrée, si on a envie de laisser un petit garçon regarder la Reine des neiges ou jouer à la poupée et une petite fille se déguiser en Zorro, la société, souvent, intervient. J'ai assisté à des scènes dans des magasins où quelqu’un va dire à un petit garçon: “Ce n’est pas pour toi ce jouet, c’est pour une petite fille.” Je dirais surtout aux mères d’incarner les choses. Je parle des mères parce qu’à nouveau, ce sont principalement les mères qui se posent ces questions-là, ce sont elles qui ont la charge mentale d'élever des enfants féministes. La façon la plus simple, c’est d'incarner: il y a ce qu’on dit à nos enfants, qui on côtoie, comment on se comporte. Un petit garçon qui grandit dans une maison avec un père qui donne le bain, fait la cuisine et une mère heureuse d’être une femme, dans une maison où on parle un langage inclusif, ça fait des enfants plus ouverts et qui vont grandir très naturellement féministes et moins imbibés des stéréotypes de genre. Mais bon, c’est un travail de longue haleine.
Les femmes n’ont pas besoin d’être plaintes ou sauvées. Elles ont besoin d’être écoutées, crues, comprises. On aura gagné quand on ne remettra plus en question la parole d’une femme.
Lauren Bastide
Vous réagissez dans “Présentes” au fait qu’en France, comme en Belgique, d’ailleurs certains disent qu’on n’a pas trop à se plaindre. Oui, il y a des trucs à améliorer, mais on se dit que “ça va”. Vous dites: “C’est quoi cette façon de penser?”
Μais c’est vrai: c’est quoi cette façon de penser? C’est délirant de penser que c’est ok qu’il y ait 20% de femmes dans les médias, que c’est déjà pas mal. Mais moi je veux la parité. Et 20% ce n’est pas la parité. Ceux qui utilisent ça, ils sont anti-féministes.
En Belgique, Romeo Elvis a été accusé d’agression sexuelle, et c’est sa sœur Angèle qui a été insultée. Comment avez-vous réagi?
C’est malheureusement classique. Quand on parle d’un viol, c’est forcément une femme qui est coupable. D’une façon ou d’une autre. C’est tellement un ressort sexiste. Ce n’est pas un hasard que ça intervienne peu après la déclaration d’amour d’Angèle à sa copine: elle est belle, célèbre, riche, féministe, lesbienne, ça énerve beaucoup. Elle prend dans la figure un concentré de sexisme, de lesbophobie, et de haine contre les femmes qui ont de l’influence, mais elle est bien dans sa peau et dans ses convictions, et elle a été soutenue. C’est ça aussi qui nous fait tenir: la sororité. C’est un outil puissant pour réagir. C’est l’une des choses qui me fait tenir: oui, il y a de la haine et de l’opposition, mais il y a aussi de la sororité et de la bienveillance.
Vous écrivez que prendre soin de soi, ça fait aussi partie du combat féministe. Et que pour ça, il faut parfois renoncer à essayer de convaincre quelqu’un qui ne se rangera jamais à notre avis.
Il faut parfois se mettre à l’abri, oui. On n’octroie pas plus de 5 minutes dans la journée à convaincre quelqu’un de raciste ou de sexiste qui se trompe. Sinon on lui donne une emprise sur nos émotions, c’est un piège. On s'énerve et après, on nous traite d’hystériques. Gardons nos énergies pour des choses positives. En tout cas, j’ai écrit le livre pour ça. Au lieu d’essayer de convaincre des gens qui ne sont pas d’accord avec vous, offrez-leur mon livre.
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