Il a vécu sept ans en forêt avec les chevreuils, sans même un sac de couchage: le récit étonnant d’un isolement volontaire
InterviewGeoffroy Delorme a vécu sept ans dans la forêt de Louviers en Normandie, en compagnie des chevreuils. Il a fait sien leur mode de vie. Il a vécu seul sans tente, sans abri, ni même un sac de couchage ou une couverture. Il s’est nourri comme un chevreuil, a dormi comme un chevreuil et s’est protégé des intrus comme eux. Les chevreuils sont devenus ses amis, ses guides. Dix ans après avoir retrouvé la civilisation, il publie le livre “L’homme-chevreuil”, dans lequel il raconte cette folle immersion. Rencontre.
Dès le plus jeune âge, vous aviez une connexion avec la forêt… On ne se retrouve pas à vivre sept ans avec les chevreuils en forêt par hasard...
Je n’ai pas eu une enfance malheureuse mais j’ai eu une enfance isolée du monde social. Mes parents ont décidé de me faire suivre ma scolarité par correspondance. J’ai vécu une espèce de confinement de 12, 13 ans. Quand j’ai grandi, je me suis rendu compte que la société me faisait peur. Je ne la comprenais pas et j’étais incapable de trouver mes marques. Alors que la nature, quand j’étais gamin, c’était la chose de référence que j’avais. Il y avait des petits merles que j’aidais dans les haies, je voyais les cerfs qui bramaient à l’orée de la forêt… La connexion que j’avais avec la forêt me rassurait. J’avais une passion pour la photo, je me suis dit que je pouvais peut-être allier les deux.
À quel moment on se dit: je vais aller vivre en forêt pour de bon?
Je me suis créé un territoire. Je revenais à la maison. Un jour, j’ai rencontré un chevreuil que j’ai fini par appeler Daguet. Il avait une attitude marrante: il tournait autour de moi, il s’intriguait de ma présence. Je me suis demandé ce que ça ferait si moi, je me mettais à marcher derrière lui. Il y a un jeu qui s’est créé entre nous et ça m’a donné envie d’aller de plus en plus loin en forêt. Et là, je me suis rendu compte que les chevreuils, c’était vraiment une drogue. Si je n’avais pas rencontré Daguet, je ne serais pas parti vivre en forêt.
Qu’est-ce qui vous attirait tant chez les chevreuils?
Les chevreuils ont cette curiosité que les autres animaux n’ont pas forcément. La société des chevreuils fonctionne d’une manière différente de celle des humains: ils sont autonomes et interdépendants. C’est une façon de vivre que j’aime beaucoup: c’est en étant en partenariat et en collaboration avec les autres qu’on s’en sort. On m’a toujours présenté la société comme quelque chose où on devait être en compétition avec les autres. Quand j’ai découvert leur façon de fonctionner, ça m’a rassuré. Je me suis senti bien. Il y avait une bienveillance les uns envers les autres. Ils étaient dans leur coin de chevreuils, moi j’étais dans mon coin d’humain, parfois je passais du temps avec eux, parfois pas. C’est là que ma vie en forêt a commencé…
L’hiver, il faut accumuler la nourriture, faire des réserves. Mais vous dites que ce n’était pas l’hiver le plus compliqué, c’était plutôt la pluie à l’automne…
Oui, il y a les équinoxes et les solstices. J’étais en Normandie, donc en hiver, j’avais 7-8 degrés. C’est froid mais ce n’est pas le pôle nord. Mais les entre saisons, quand on est aux équinoxes, le point de rosée se fait très tôt dans la nuit. On est trempé très rapidement. Il faut se lever très tôt, marcher, bouger parce que même si j’avais des pulls en laine pour avoir chaud, ce n’est pas très agréable de sentir le froid qui vous pénètre. Il y a des techniques: on se met de la terre sur la peau pour que les pores soient bouchés, ça amoindrit le froid, mais ça ne dure pas 24 heures, on doit le refaire régulièrement. Le vent aussi, c’est très désagréable. Les chevreuils m’ont aidé à tenir: ils m’ont montré des endroits pour être à l’abri du vent. C’est toute une connaissance relationnelle qu’on finit par avoir avec son environnement. Les chevreuils ont été des guides.
Vous racontez que vos parents n’ont pas bien vécu votre immersion totale en forêt. Pourquoi?
J’ai reçu une certaine éducation. Et après, on m’a dit qu’il fallait que j’aille travailler dans une société dont on avait tout fait pour m’isoler. J’ai trouvé ça un peu fort de café. Il me fallait un temps d’adaptation qu’on ne voulait pas vraiment me donner. La nature a été beaucoup plus accueillante et beaucoup plus stable. Je n’en veux pas à mes parents, mais on ne peut pas contraindre quelqu’un à vivre isolé du monde et ensuite lui reprocher de ne pas vouloir de contacts sociaux. J’ai appris à aimer les gens et à avoir un contact social grâce à ma compagne. Parce qu’en 2010, six mois après ma sortie définitive de la forêt, je parlais de façon hésitante, j’essayais d’être un mec normal mais je ne savais pas trop ce que c’était la normalité.
Comment et pourquoi avez-vous décidé de quitter la forêt?
J’ai parfois passé un an totalement seul, sans parler à personne. La nourriture, la météo, tout est compliqué. Techniquement, mon corps me disait que c’était trop. Je voyais les chevreuils grandir, fonder une famille, certains partaient parfois… Je restais là comme un imbécile, ancré sur mes positions. Certains chevreuils me faisaient savoir que bon, j’étais bien gentil mais ils n’avaient pas besoin de moi. Je me suis dit que peut-être, ce n’était pas ma place. Il y avait aussi la nourriture qui disparaissait en variété. Et puis j’ai rencontré ma compagne…
Comment l’avez-vous rencontrée?
Un jour, j’étais avec Daguet et je voulais traverser un chemin. On n’y arrivait pas, il y avait toujours quelqu’un. Je ne sais pas pourquoi, je me suis dirigée vers une personne qui arrivait sur le chemin. C’était une femme qui promenait son chien. Je lui ai dit qu’il y avait un sanglier en haut, que ça pouvait être dangereux, j’essayais de lui faire faire demi-tour. Elle m’a demandé ce que je faisais dans la forêt, je lui ai dit que j’étais photographe animalier. Je l’ai raccompagnée à sa voiture, on a discuté. J’ai gardé son odeur et son visage en moi. Six mois plus tard, quand j’ai essayé de me resocialiser, j’ai pu organiser une exposition photo. Elle est venue me voir et on ne s’est plus quittés. Elle m’a montré ce qu’était la vie humaine, avec ses interactions.
Certains vous reprochent de prêter des comportements humains aux animaux dans ce livre. Vous leur répondez quoi?
Pour que ça soit plus lisible pour le lecteur, j’ai parfois mis des dialogues que j’ai eus avec les chevreuils. Je mets un tiret mais pas de mots derrière. Le problème, c’est que certains interprètent ça. L’anthropomorphisme, c’est prêter des sentiments humains à un animal. Or les chevreuils n’ont jamais eu de comportements humains. Quand je dis que j’ai appris à Sipointe à éviter la chasse, c’est comme on apprend à un chien guide d’aveugle à s’arrêter à un feu rouge, à éviter les gens sur un trottoir... Ce n’est pas pour ça qu’il devient humain et qu’il va faire la vaisselle le soir.
Ça fait dix ans que vous avez quitté la forêt. Elle vous manque?
Non parce que j’ai une approche très ayurvédique de la forêt. Elle est en moi. J’ai mis le poème de George Sand dans le livre. “La nature est tout ce qu’on voit, tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime, tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit, tout ce que l’on sent en soi-même.” Quand la forêt me manque, j’y pense et j’y suis. Elle est en moi.
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