Le jour où le dernier enfant quitte le nid, la mère est dévastée: “C’est une blessure qui ne se referme jamais”
InterviewC’est un jour comme les autres pour Anne-Marie: sa routine matinale est bien rodée, les tartines sont prêtes à être grillées, la table est dressée, elle prépare le café. Les gestes sont mécaniques. Elle les fait depuis si longtemps. C’est un jour comme les autres sauf que tout a le goût des adieux. C’est la dernière fois ce matin que son fils, son dernier-né, prendra le petit-déjeuner à la table familiale. Anne-Marie savait que les enfants finissaient, un jour, par prendre leur envol. Elle est déjà passée par là deux fois avant Théo. Mais Théo, c’est le dernier, et le voir partir la dévaste.
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Que va-t-elle faire désormais de ce silence dans la maison? Que va-t-elle dire à son mari? Comment vont-ils vivre maintenant qu’ils ne sont plus que deux? Parce qu’on “s’oublie, on s’efface, on se dilue, quand on est parents.” Anne-Marie dit que ses enfants l’ont rendue heureuse. Est-ce que ça veut dire, que, maintenant qu’ils sont partis, elle ne le sera plus? Philippe Besson aime se définir comme un écrivain des sentiments. Dans “Le dernier enfant”, il se penche sur cette page qu’une mère tourne bien malgré elle quand son enfant s’en va. C’est un livre poignant, sur un événement aussi banal que douloureux. Rencontre.
Vous n’êtes pas une femme, vous n’avez pas d’enfant: comment en êtes-vous venu à écrire sur le syndrome du nid vide? Qu’est-ce qui vous intéressait dans ce sujet?
Je ne suis pas mère, je ne suis pas femme ni parent, mais je suis fils. J’ai vécu ce moment où j’ai quitté le domicile familial, il y a plus de trente ans. J’ai quitté ma Charente natale pour aller vivre à Rouen en Normandie, ce qui est très loin. J’avais 18 ans, j’allais y faire mes études et mes parents m’ont accompagné dans le meublé où j’allais passer les trois années qui allaient suivre. Je me souviens très bien de moi, voyant la voiture de mes parents partir. À la différence de Théo, j’étais dévasté parce que j’étais très proche de ma mère. J’avais grandi dans un milieu très protégé. Et on était dans les années 80, il n’y avait pas Internet. Le monde n’existait pas: le monde, c’était mes parents. J’ai appris, des mois après, par mon père qui a fait une gaffe, que ma mère avait pleuré pendant tout le voyage du retour. Et qu’elle avait plongé dans une forme de langueur et de tristesse assez profonde. Ça m’a dévasté d’abord, parce qu’aucun fils n’a envie de faire pleurer sa mère. Et ensuite, ça m’a dérouté parce que ma mère était jeune et je me disais: c’est une femme, une épouse, une amante, elle a plein d’autres vies à côté de sa vie de mère. Elle-même a été surprise d’être dévastée par mon départ…
Et puis, il y a la raison qui m’a conduit à l’écriture: investir des personnages qui ne sont pas moi. J’aurais pu raconter le livre du point de vue du fils, j’ai choisi de le raconter du point de vue de la mère. Je me suis dit, et c’est pour ça que je me suis mis à écrire, que c’était l’occasion de vivre une autre vie que la mienne. J’entre dans la tête, dans l’esprit, dans le cœur, dans le corps de quelqu’un que je ne suis pas, j’essaie de rendre juste et plausible quelqu’un que je ne suis pas. Il y a une espèce de gageure dans l’écriture qui est formidable. Raconter ce qu’on est, c’est une forme de facilité. Cette femme traverse une gamme de sentiments: un sentiment d’abandon d’abord, parce qu’elle perd l’être aimé et qu’est-ce qu’on fait face à ça? Comment on se débrouille avec le manque, la frustration, avec le regret et les choses inabouties qu’on ne s’est pas dit et qu’il est trop tard pour se dire maintenant? Au fond, cette perte relève des mêmes mécanismes que la rupture amoureuse. Ou même du deuil. Il y a quelque chose d’irréversible: quand votre enfant s’en va, il est rare qu’il revienne. C’est fini alors que l’autre est encore là, il est encore accessible.
Vous avez parlé avec votre mère du fait qu’elle avait pleuré ce jour-là?
Très longtemps après. C’est elle qui a abordé le sujet. C’était terrible. Même à ce moment-là, elle n’arrivait pas à le dire sans revivre le moment et pourtant vingt ans s’étaient écoulés. Elle en parlait avec des sanglots, des hoquets. Même des années après, elle n’était pas capable de le dire calmement. Là, elle a lu le livre et elle n’a pas été capable de m’en parler autrement qu’en pleurant. En général, elle lit mes livres trois ou quatre mois après leur publication. Celui-là, elle l’a lu tout de suite et elle n’a pas pu faire autre chose que pleurer. Encore une fois, je n’ai pas envie de faire pleurer ma mère. Mais c’est une blessure qui ne se referme jamais.
Vous n’êtes pas le personnage d’Anne-Marie mais qu’avez-vous mis de vous dans cette histoire autre que ce départ de la maison, il y a trente ans?
Un lieu social. Le milieu auquel ils appartiennent est un milieu que je connais bien: c’est le mien. Je viens de la classe moyenne inférieure: mon père était instituteur, ma mère secrétaire, j’avais un grand-père cordonnier. Mon père a six frères et sœurs et ils étaient tous ou paysans ou ouvriers. Aucun n’a eu le bac, à part mon père. Tout le monde est resté là-bas. Personne n’a quitté la Charente. Je viens de ce milieu-là. Quand on a fait des études, mes parents ont fait un crédit. Ils n’avaient pas d’argent pour payer nos études. C’était ça qui m’intéressait aussi: raconter un ancrage social, parce que moi je suis un transfuge de classe. Et du transfuge de classe au traitre, il n’y a pas loin. Donc c’était dire: je suis un transfuge de classe mais pas un traitre. Je sais d’où je viens, je sais quelles sont mes origines et je sais ce que je leur dois.
Avant d’être écrivain, vous avez travaillé dans les ressources humaines. Les ressources humaines, c’est s’intéresser aux gens qui sont face à soi. Finalement, il y a de ça dans l’écriture aussi: écrire c’est observer les autres…
Oui, il faut être attentif à ce qu’on voit, à ce qu’on entend, à ce qu’on ressent. Les écrivains, ce sont des voleurs. Ils prennent énormément de choses des gens, parfois, c’est à leur corps défendant. Ce qui m’intéresse, c’est le non dit dans le dit, le sous texte dans le texte, c’est ce que les gens révèlent malgré eux. Le cœur de ce que je fais, c’est ça. Anne-Marie, elle ne dit rien… C’est juste une femme qui prépare le petit déjeuner le matin. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis dit: je suis en train de commencer un livre par une femme qui fait griller des toasts. Au moment où vous écrivez la phrase, vous la tremblez un peu. (Il éclate de rire.) Mais c’est une femme qui se révèle par les détails. Anne-Marie ne pense pas à ce qu’elle fait sinon elle s’écroule. Et ça, ça m’intéresse. Non pas de dire: Anne-Marie est une femme qui vacille. Mais Anne-Marie se raccroche à sa tartine, à son grille-pain et à ses géraniums… Pour tenir.
Philippe Besson a publié “En l’absence des hommes”, son premier roman, en 2001. Depuis, il y a eu “Son frère”, adapté au cinéma par Patrice Chéreau, “L’arrière-saison”, Grand Prix RTL, “Un garçon d’Italie”, “Un personnage de roman”, portrait d’Emmanuel Macron, ou un livre sur James Dean. Mais c’est avec “Arrête avec tes mensonges” qu’il faut le découvrir, si ce n’est pas déjà fait. “Arrête avec tes mensonges, ça raconte d’où je viens, ça raconte comment j’écris les livres et ce qu’il faut comprendre des livres que j’écris. C’est un mode d’emploi. Et c’est un livre qui cueille. C’est un livre sur ma jeunesse, c’est un livre sur un autre et c’est une fin qui dévaste les gens à chaque fois. On m’en parle souvent. Ça raconte quelque chose de moi de très profond.”
C’est le livre qui vous raconte le mieux mais est-ce que c’est celui dont vous êtes le plus fier?
Ce n’est pas de la fierté mais disons que j’aime bien quand un livre est au plus près de ce que je voulais faire, de mon intention initiale. Arrête avec tes mensonges et Le dernier enfant, ce sont des livres qui sont extrêmement près de ce que j’imaginais. Je ne vois pas très bien comment je pourrais les écrire mieux. Je ne dis pas qu’ils sont formidables mais selon mon critère à moi, ils le sont. Ca n’est pas une question de fierté mais j’ai l’impression d’avoir fait ce que je devais faire.
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