Le maître du suspense est de retour: la recette de Joël Dicker pour vous tenir en haleine
InterviewDix ans après “La Vérité sur l’affaire Harry Quebert”, le coup de maître qui l’a fait connaître, Joël Dicker ressort ses personnages pour débusquer le coupable d’une vieille enquête qu’on pensait résolue depuis longtemps. Dans “L’Affaire Alaska Sanders", un roman typiquement Dicker, l’auteur suisse nous balade entre les rebondissements et les allers-retours dans le temps qui ont fait son succès. Une recette qui fonctionne et dont personne ne se lasse. Même pas lui. “Je n’ai jamais de plan avec un début, un milieu et une fin. Si je sais déjà ce qui se passe, alors pourquoi j’aurais besoin de l’écrire?”
Sarah WinkelDernière mise à jour:04-04-22, 12:10
“L’Affaire Alaska Sanders” est accessible à tous, amoureux du genre ou non. Pensée comme la suite directe de “La Vérité sur l’affaire Harry Quebert” (2012), l'histoire est à la charnière entre ce premier tome et “Le Livre des Baltimore” (2015). Pourtant, pas besoin de les avoir lus pour comprendre quoi que ce soit. Chaque tome tient seul et répond aux autres.
Ici encore, Joël Dicker nous emmène dans un thriller implacable que l’on peine à lâcher. Si le livre peut impressionner par son volume (575 pages à dévorer, tout de même), ses personnages, ses retournements de situation et son style efficace nous emportent rapidement. Se plonger dans un de ses bouquins, c’est retrouver le plaisir simple de la lecture. Les après-midis perdus dans une histoire. Les soirées à repousser un peu plus l’heure du coucher pour lire un dernier chapitre, découvrir un nouvel indice. Rencontre avec un auteur qui ne cherche pas à plaire, mais qui semble avoir tout compris pour le faire.
“La Vérité sur l’affaire Harry Quebert” vous a propulsé sur la scène internationale. Est-ce que vous ressentez une certaine forme de pression en reprenant les personnages qui vous ont offert un tel succès?
Plus que de la pression, il y a surtout du trac. Quand le projet est fini, juste avant la parution, il y a le trac de l’artiste, de se dire: “J’ai tout donné, j’espère que les gens vont aimer le livre et le comprendre". Mais je n’écris pas avec la pression. Ce n’est qu'une fois qu'il est terminé que je pense à ce que les gens pourront en penser. Je le compare aux autres livres et j’espère que les retours seront similaires. Mais il n’y a plus rien que moi je puisse faire, alors ce n’est pas une pression qui m’écrase.
Vous n’avez aucun plan lorsque vous vous lancez dans l’écriture d’une nouvelle histoire. Pourtant, vos livres sont remplis de rebondissements et de sauts dans le temps. Comment faites-vous pour ne pas vous perdre?
Je me laisse guider par l’histoire quand j’écris. Mais je précise que le livre est quand même relu et repris. J’affine, je peaufine et je m’assure que les passages soient suffisamment clairs. De façon brute, j’écris le livre comme vous le lisez maintenant. Je me dis que si c’est clair pour moi, c’est clair pour n’importe qui. Ne pas avoir de plan, ça m’oblige à une exigence de clarté, même envers moi-même.
C’est donc une méthode qui nécessite de retravailler régulièrement votre texte...
Je coupe énormément - la moitié du livre ou presque. J’ai écrit 1.000 pages pour en publier quasiment 600. Il y a beaucoup de “déchets”, car je me perds beaucoup. Je connecte deux points ensemble, j’avance, puis je reviens en arrière... Je suis constamment en train de relire et de reprendre l’histoire. C’est comme si je traçais une route dans la forêt. Le premier passage, je me perds. Le deuxième, je sais où je vais. Le troisième, j’ai commencé à écraser l’herbe, donc je me repère. Le quatrième, j’ai mis des indices, je vois où je vais, et puis la dernière fois, je vois enfin la lumière.
Vous connaissez donc votre objectif final avant de commencer, vous savez dans quelle direction vous allez?
Non, je le découvre pendant l’écriture. Mon objectif final, c’est de sortir de la forêt, peu importe les moyens, si ce n’est qu'à un moment je vois la lumière, et je me dis: “Ah! En fait, c'est ça”. Il y a une phase où vous êtes complètement paumé, et puis vous comprenez que vous y êtes presque, et vous allez dans cette direction.
Dans mes livres, il y a une certaine dimension de plaisir - presque une pulsion - de se dire: “Encore un chapitre, encore un rebondissement". On est dans la gourmandise.
Joël Dicker
Est-ce que Joël Dicker l’auteur écrit pour Joël Dicker le lecteur? Vos histoires correspondent-elles à ce que vous aimeriez lire?
J’écris parce que j’aime lire. Je n’ai pas cette obsession de me dire que je dois écrire telle ou telle chose parce que c’est ce qu’attendent mes lecteurs. Je pense que le fait de ne pas avoir de plan m’offre ce plaisir de lecteur, je me demande tout le temps: “Qu’est-ce qui va se passer?” Ça m’aide beaucoup, c’est ce qui me tient. C’est parce que j’ai envie de lire ce livre que je continue à l’écrire. Et je pense que si j’avais un plan avec un début, un milieu et une fin, je n'aurais pas ce plaisir de lecteur. Si je sais déjà ce qui se passe, alors pourquoi j’aurais besoin de l’écrire? Il y a une certaine dimension de plaisir - presque de pulsion - de se dire: “Encore un chapitre, encore un rebondissement". On est dans la gourmandise.
C’est justement cette forme de gourmandise, avec ces rebondissements à répétition, qui vous est reprochée par certains lecteurs qui n’y adhèrent pas...
Je comprends tout à fait. J’aimerais bien être concis, mais j’ai ce besoin de l’installation. Effectivement, je pourrais faire plus court, et il pourrait y avoir moins de rebondissements. Mais sans m’en défendre, je compare ça à un repas à rallonge dans lequel on prend du plaisir, où on s’installe et on prend le temps de déguster. Évidemment qu’on pourrait faire le même repas plus vite, sur une table mange-debout, mais on peut aussi avoir la possibilité de se ménager des moments de vie où on prend le temps. Il faut juste en avoir envie - et on a tout à fait le droit de ne pas en avoir envie.
Il y a aussi un petit côté addictif. On a envie de tourner la page et de lire le prochain chapitre pour enfin savoir ce qu’il va se passer... jusqu'à la prochaine surprise.
C’est un peu la promesse que j’essaie de faire. Pas seulement à mes lecteurs, mais à moi aussi. Encore une fois, je n’ai pas de formule, et je pense que le meilleur moyen de déplaire, c'est en voulant plaire à tout prix. Quand vous êtes honnête dans votre projet, les gens peuvent vous dire qu’ils ont moins aimé certaines choses, tout en respectant le travail qu'il y a derrière.
La notion de plaisir revient souvent lorsque vous évoquez votre travail.
J’appuie beaucoup là-dessus parce que j’estime que la lecture doit être un plaisir. L’une des composantes de la lecture - et de la place de la littérature dans nos vies - c’est le divertissement. Il ne faut pas l’oublier, et ce n’est pas un gros mot. C’est en rappelant aux gens la dimension de plaisir que la littérature peut avoir qu’on leur donnera envie de lire.
En lisant les livres de la série “Harry Quebert”, on ne peut s’empêcher de vous assimiler à votre personnage de Marcus Goldman. Est-ce qu’il y a un peu de vous en lui?
Forcément, il y a un peu de moi dans Marcus, parce qu’il y a de moi dans tous les personnages à qui je donne vie. Mais je ne suis pas sûr que Marcus me ressemble tant que ça. Quand je l’ai créé, j’avais 24 ans, et j’avais imaginé un personnage de 28 ans. Il était plus vieux que moi, il avait un succès que je n’avais pas encore eu. Ce n’était pas moi. Dans “L’Affaire Alaska Sanders”, il a grandi de quelques mois seulement, alors que moi, depuis, j’ai pris 12 ans. Aujourd'hui, Marcus a 30 ans, alors que j’en ai 36. On n’est pas dans les mêmes phases de vie. J’ai passé des étapes que lui n’a pas encore traversées. Je m’en sens à la fois proche parce qu’il est comme un ami, il m’accompagne depuis quelques années maintenant, il y a un lien affectif. Et en même temps, je ne me vois pas en lui.
Vous jouez volontairement avec les limites entre la réalité et la fiction?
C’est vrai que j’en joue un peu, surtout dans ces livres. C’est une manière de mettre le doigt sur le pouvoir que possède le lecteur. Toi, auteur, tu n’as aucune prise sur la façon dont sera reçu ton livre. Tu peux te casser les pieds à décrire un personnage pendant dix pages, si le lecteur l’imagine différemment, c’est comme ça. Marcus habite un autre pays, ne parle pas la même langue, n’a pas la même vie que moi, et pourtant, si le lecteur décide que Marcus, c’est moi, je ne peux rien faire contre ça. Je trouve ça absolument génial. Il n’y a pas de vérité. C’est leur imaginaire, leurs personnages, leurs décors, leur monde. Le livre ne m’appartient plus.
Le résumé
Avril 1999. Mount Pleasant, une paisible bourgade du New Hampshire, est bouleversée par un meurtre. Le corps d’une jeune femme, Alaska Sanders, est retrouvé au bord d’un lac. L’enquête est rapidement bouclée, la police obtenant les aveux du coupable et de son complice.
Onze ans plus tard, l’affaire rebondit. Le sergent Perry Gahalowood, de la police d’État du New Hampshire, persuadé d’avoir élucidé le crime à l’époque, reçoit une troublante lettre anonyme. Et s’il avait suivi une fausse piste?
L’aide de son ami l’écrivain Marcus Goldman, qui vient de remporter un immense succès avec La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, inspiré de leur expérience commune, ne sera pas de trop pour découvrir la vérité.
“L’Affaire Alaska Sanders”, 575 p., aux éditions Rosie & Wolfe.