Troubles alimentaires, projet inédit et vie de famille: rencontre en toute intimité avec Lara Fabian

Après une tournée mondiale baptisée “50 World Tour”, vous revenez avec un tout nouveau projet: un ouvrage mêlant recettes de cuisine et souvenirs intimes. Comment vous est venue cette envie d’écrire ce livre? Quel a été le déclic?

L’envie est venue durant un moment de contemplation en plein milieu de cette crise historique qu’on vient de traverser. J’étais à la campagne, on ne pouvait pas se réunir, on ne pouvait pas chanter, on ne pouvait tout simplement plus rien faire. Un jour, je me suis assise et j’ai commencé à me remémorer toutes ces choses que j’ai vécues dans ma vie durant ces 30 ans de carrière. En les racontant à table, ma fille m’a dit: ‘tu sais maman, c’est incroyable la manière dont tu racontes tous ces souvenirs. On dirait un film. Tu devrais les écrire’. Et donc je me suis mise à écrire ces histoires les unes après les autres. Au fil de ce que j’écrivais, j’ai réalisé que la table était fondamentale dans ma vie. Il n’y avait pas une histoire qui n’était pas habitée d’une manière ou d’une autre par cette convergence entre la table et un moment de partage. C’est comme ça que l’idée est venue, en toute simplicité.

Cet ouvrage, c’est bien plus qu'un livre de recettes de cuisine. Vous racontez des souvenirs intimes, heureux et douloureux, mais vous rendez aussi hommage aux cultures qui ont bercé votre enfance et qui bercent encore votre vie d’adulte. La Belgique, la Sicile, le Québec...

Au-delà de l’importance de rendre hommage à ces cultures dans mon livre, elles font de moi la personne que je suis aujourd'hui. Je suis un animal à trois têtes totalement polymorphe, qui parle toutes ces langues et qui mange toutes ces cuisines différentes. Je n’ai pas envie de choisir en fait. J’ai réalisé que l’amour d’une culture, c’est comme l’amour pour des enfants. C’est exponentiel. On peut aimer sans avoir besoin de choisir, sans définir des limites.

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À travers l’histoire d’amour de vos parents (son père est belge, sa maman sicilienne, ndlr), vous transmettez aussi un beau message de tolérance, de vivre ensemble. Ils ont appris à s’aimer l’un l’autre avec leurs différences culturelles, et cela n’a pas toujours été simple, notamment pour leur famille.

Oui, c’est vrai. Vous savez, ce message de vivre ensemble est plus que jamais important. J’imagine que ce sera le combat d’une vie pour l’humanité. Mais je ne pense pas qu’on gagnera un jour. Notre société ne comprendra jamais totalement ce que signifie le métissage, sa réelle importance.

Dans les pages de votre livre, on comprend que pour vous, la nourriture est associée à de grands moments de joie, mais aussi à des souvenirs plus douloureux. Vous évoquez notamment votre combat contre les troubles alimentaires qui a duré 7 ans. Pourquoi cette volonté de vous livrer sur ce sujet encore souvent tabou?

En effet, encore aujourd'hui, il y a un tabou terrible autour de cette notion de désordre alimentaire. Je vois beaucoup de gens si désespérés quand ils sont confrontés à un trouble alimentaire. En fait, on est souvent démuni face à cette maladie. Il faut comprendre que ça va beaucoup plus loin que juste se restreindre ou se faire vomir. Un désordre alimentaire complexe est la stratégie tragique qu’on met en place contre certaines douleurs qui sont beaucoup plus graves. Donc, dire à quelqu’un qui a un désordre alimentaire ‘tu devrais manger’, c’est la pire erreur à faire. Il y a toujours quelque chose à comprendre derrière: qu’est-ce que cette manifestation cristallise? Qu’est-ce qu’elle représente?

Aujourd’hui, vous allez mieux. Que diriez-vous à une personne qui souffre de troubles alimentaires?

Je lui poserais des questions. Je lui demanderais si elle a encore le désir de vivre. Parce que la nourriture, c’est la vie. Quand on se coupe de la nourriture, on se coupe de notre désir de vivre. Qu’est-ce qui nous empêche d’avoir le désir de vivre? Qu’est-ce qui nous tenaille? Quel est le fort derrière lequel on se barricade? Je ne donnerais pas de conseils à une personne qui vit cette maladie, je lui poserais seulement des questions. Je me connecterais à elle. Je n’utiliserais pas la curiosité, mais la connexion.

Dans votre ouvrage, vous évoquez d’autres souvenirs douloureux, comme la perte de votre maman ou encore vos déceptions amoureuses. Mais au fil des pages, vous délivrez un beau message d’espoir en montrant que l’amour finit par tout guérir. Êtes-vous de nature optimiste? Diriez-vous que vous êtes du genre à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide?

Absolument. La résilience, c’est ma priorité absolue. J’essaie toujours de faire d’une difficulté une possibilité de se connaître mieux. Faire de la douleur un enseignant. Appliquer la solution de la résilience comme stratégie pour sortir du tunnel. Dans mon livre, dans ce partage, ce qui m’intéresse beaucoup plus, c’est ce que j’ai fait de la douleur plutôt que la douleur elle-même.

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Vous parlez souvent de “l’alignement des étoiles” dans votre livre. Qu’est-ce que cela signifie exactement?

Je crois au destin et surtout en notre faculté à le reconnaître pour en faire la meilleure partie de notre vie. En faire notre allié. Certaines personnes subissent leur destin, d’autres le prennent à bras-le-corps et le combattent, d’autres encore, l’accompagnent et l’épousent. Dans cette forme de résilience, je pense qu’on peut accompagner et épouser son destin, lui voir une vertu infinie d’évolution. On peut avoir conscience que ce destin, nous le choisissons avant même qu’il ne se produise. Nous sommes ici pour vivre une expérience que nous avons déjà définie. J’y crois profondément. Il n’y a aucun hasard, aucune rencontre. La différence entre une bonne ou une mauvaise rencontre, c’est notre faculté à la reconnaître. Ce n’est pas facile de reconnaître les signes quand ils se présentent devant nous, car ça nous oblige à être très lucides. Et on n’aime pas toujours ça. On se cache beaucoup.

Vous avez quitté la Belgique au début des années 90 pour vous rendre au Québec, où votre carrière musicale a vraiment décollé. Ce départ a été un vrai tournant dans votre vie. Trente ans plus tard, quel regard portez-vous sur cette décision? Peut-on dire que vous avez adopté le Québec et qu’il vous a adoptée en retour?

Mon arrivée au Québec, c’est ma deuxième naissance. C’est l’endroit où j’ai eu le droit d’être parfaitement imparfaite. C’est l’endroit où j’ai eu l’occasion de faire mes premiers pas devant les caméras en me vautrant, et on ne m’a pas jugée pour autant. J’ai vraiment réussi à être juste moi et à être aimée justement parce que j’étais ‘juste’ moi. Ce qui est quand même très précieux. C’est un endroit dont j’aime la lumière, la courtoisie, la convivialité, la gentillesse, la simplicité. Je vais dire quelque chose qui peut paraître très étonnant, mais la Sicile, la Belgique et le Québec sont extrêmement semblables, justement sur ces caractéristiques.

Aujourd’hui, votre mari Gabriel et votre fille Lou sont au centre de votre vie. D’ailleurs, vous avez transmis votre amour pour la cuisine à votre fille?

Ma fille Lou est une très très bonne pâtissière. En toute sincérité, je ne sais pas si elle en fera quelque chose parce que je la vois plus dans la joie de l’exécution que dans la méthode. Elle ne cuisine jamais pour elle, c’est toujours pour offrir aux autres. Elle est toujours dans le partage.

Vous avez donné une masterclass dans la nouvelle édition de la Star Academy en France. Les téléspectateurs ont également pu vous voir partager un duo avec la finaliste Léa en direct sur TF1. Comment avez-vous vécu cette expérience? Pourriez-vous accepter un rôle permanent dans une future saison du programme?

C’était incroyable. L’amour du public, c’était fou. Mais je ne sais pas si je pourrais avoir un rôle permanent dans une prochaine saison de la Star Academy en France. En revanche, je suis certaine que la transmission sera la prochaine étape dans ma vie. Cela fait cinq ans que je suis dans ce processus avec The Voice, La Voix (au Québec), la Star Academy québécoise, donc je sais que c’est ce que je veux faire. J’ai envie d’être face à des personnes qui veulent utiliser le chant comme une stratégie pour aller mieux.

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Avez-vous une idée particulière en tête? Un projet concret?

Je vais me servir de ces clés que je possède dans ma valise depuis 30 ans pour aider les autres à gagner en conscience. La chose qui nous tue, qui nous fait le plus mal dans cette vie, c’est notre manque de conscience. La plupart du temps, on traverse le chemin de la vie de manière inconsciente. On est inconscient de nos choix, inconscient de nos peines, inconscient de nos désirs, inconscients de ce que l’on aime. On ne se connaît pas. Tôt ou tard, et même plus tôt que tard, je vais offrir des expériences uniques aux gens. Je compte faire une sorte d’audition. Je choisirai ensuite une dizaine/une quinzaine de personnes à la fois que je vais inviter dans un endroit spécial et je vais les garder trois jours avec moi. Je vais vraiment leur offrir ce qu’on appelle “une expérience”. Ce sera une sorte d’académie et ça commencera dans les prochains mois.

Et vous, personnellement, avez-vous de nouveaux projets musicaux pour l’avenir?

Oui, pour 2023 déjà, mais je ne peux pas vous en dire plus.

Terminons par une petite question gourmande: quel est votre resto coup de cœur à Bruxelles?

Le Vieux Saint Martin. Dernièrement, je n’ai pas eu l’occasion de découvrir beaucoup de nouvelles adresses à Bruxelles. Je fonctionne un peu à l’habitude, donc je vais au Vieux Saint Martin manger un bon filet américain.

Le livre “Tout” de Lara Fabian, sorti aux éditions Libre Expression, est disponible en ligne ainsi qu’en librairie au prix indicatif de 24,90 euros.