L’horeca entre réflexion, débrouille et désespoir: “Je pense que le métier de restaurateur va peu à peu disparaître”
Au-delà des difficultés financières, voire de la survie pure et simple d’un secteur lourdement fragilisé par la crise sanitaire, un constat se confirme chez les restaurateurs: comme d’habitude, l’heure est à la débrouille solitaire et aux recettes innovantes pour garder la tête hors de l’eau. Mais face à ce tsunami épidémique, le “restaurant d’avant” semble désormais n’avoir d’autre choix, cette fois, que d’entamer une véritable révolution: l’adoption d’une nouvelle stratégie commerciale, plus polyvalente, capable de lui fournir les armes nécessaires pour affronter son imprévisible époque.
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Depuis un an, la pandémie de coronavirus a bouleversé nos vies. L’occasion pour les journalistes de 7sur7 de dresser un bilan en sondant les secteurs particulièrement affectés. Comment la covid les a-t-elle impactés? Qu’ont ils fait pour s’adapter et comment voient-ils l’avenir? ÉPISODE 6: L’HORECA.
Est-ce que la crise va profondément marquer la manière de travailler des restaurateurs? Poser la question, c’est évidemment y répondre. Habitués à redoubler d’ingéniosité pour joindre les deux bouts, ils sont aujourd’hui inévitablement contraints de repenser leur activité de fond en comble face à cette fermeture prolongée qui réduit peu à peu leurs maigres économies à néant. Le chef italo-bruxellois Filippo La Vecchia (“Osteria Romana”, photo ci-dessus) a dépassé les stades progressifs de la compréhension, de la patience, de l’agacement, de la colère et du désespoir, pour entrer dans une phase de réflexion primordiale, pour ne pas dire vitale: “On n’a pas de solution miracle pour le moment mais on se débrouille", confie-t-il d’emblée à 7sur7. Il a fermé un mois et demi lors du premier confinement. L’alternative du “take away” et des livraisons s’avérait incompatible avec les exigences de sa carte. En effet, comment imaginer une seule seconde que ses rigatoni alla carbonara concoctés dans les règles de l’art puissent être consommés trente minutes plus tard? La contrainte insoluble du délai imposé, une épine de taille dans la toque du maître des lieux, perfectionniste passionné de la complexe “simplicité" italienne.
“Kit carbonara”
“Après un mois et demi, on a décidé de rouvrir avec une carte plus adaptée à ces nouvelles contraintes. J’ai dû mettre mes principes de côté. Il fallait trouver un compromis entre la philosophie culinaire et les impératifs commerciaux”, admet Filippo La Vecchia. Et s’il n’était pas question, au départ, de proposer son emblématique carbonara “à emporter”, d’autres plats pouvaient néanmoins supporter raisonnablement les conséquences du transport et de la consommation différée. Pour sa recette fétiche, il décide toutefois de privilégier un autre dispositif, plus sophistiqué: le “kit carbonara”, depuis décliné en version amatriciana ou cacio e pepe. Les clients reçoivent un colis composé des ingrédients, épices et aromates indispensables, la méthode à suivre et même un QR code pour bénéficier de l’assistance vidéo du chef lors de chaque étape cruciale de la préparation. Une autre façon ludique d’inviter le restaurant à domicile. Pour les commandes uniques, le chef avoue anticiper le temps de livraison en réduisant la cuisson des pâtes... qui continueront ainsi à cuire pendant le trajet. Autre concept intéressant développé à l’Osteria: le risotto en conserve. Un conditionnement garanti “longue conservation” né d’une longue réflexion et soumis à une rigoureuse batterie de tests pour parvenir au résultat optimal.
Les leçons de la crise
“Dans ces moments difficiles, tu apprends toujours quelque chose. Nous, nous avons d’abord dû réfléchir à allier notre souci de l’excellence et le principe de la consommation différée. Une tout autre manière de concevoir la cuisine”, souligne Filippo La Vecchia. L’un des “apports” de cette crise, pour lui, incontestablement. “Il faut aussi apprendre à se différencier pour survivre”, ajoute le chef romain tatoué au profil atypique. Lui qui a conçu son restaurant comme un cabinet de curiosité hors du temps, un lieu raffiné au charme singulier. “Je pense que le secteur va subir de profonds changements. Les restaurateurs devront se débrouiller avec moins de personnel et apprendre à se diversifier, par une présence commerciale parallèle, notamment. Proposer systématiquement une offre de produits en ligne, par exemple, ou dans d’autres boutiques spécialisées. Je pense que le métier de restaurateur, dans sa définition traditionnelle, va peu à peu disparaître. Cuisiner restera le ‘hobby’, à côté d’une activité commerciale plus large destinée, elle, à garantir la rentabilité”, conclut-il (suite en dessous).
Le grand chef à l’hôtel
Décoré d’une première étoile par le guide Michelin en 2019 et désigné Jeune Chef de l’Année par le Gault&Millau Belux 2021, Kevin Lejeune (“La Canne en ville”) s’est quant à lui installé jusqu’à Pâques à l’hôtel Steigenberger Wiltcher’s. L’ex-Conrad a en effet mis à sa disposition une grande partie des chambres 5 étoiles du premier étage, réaménagées pour l’occasion en salles à manger individuelles. Une solution éphémère pour profiter d’un dîner prestigieux dans le respect des normes sanitaires et... sans être obligés de manger à côté de son lit. Un concept gastronomique original, très haut de gamme, pour s’offrir un moment d’exception en ces temps troublés. Un “séjour étoilé”, menu quatre services, nuitée et petit-déjeuner inclus. Une façon aussi pour le Carolo d’origine, à l’initiative du projet, de sortir du contexte des “colis à emporter” et des “barquette en aluminium”, son lot quotidien depuis un an, et de retrouver le “plaisir des assiettes et des plats préparés minute”, confie-t-il, lassé, comme tout le secteur, par la fermeture prolongée de son établissement. Il parvient, néanmoins, à déceler, dans la grisaille, quelques aspects positifs de la crise: “On a pris le temps de se concentrer sur certaines choses auxquelles on ne pouvait consacrer que peu de temps auparavant. J’ai appris à faire mon pain, par exemple”, souligne-t-il.
“L’enthousiasme s’est éteint”
Le son de cloche est sensiblement différent chez “Palo Alto - Gin & Food”, bistro italo-espagnol de Saint-Gilles (Bruxelles). “Nous ne proposions pas de plats à emporter avant la crise sanitaire. Il a donc fallu apprendre sur le tas, dans l’urgence, s’adapter et accepter les multiples contraintes de cet exercice imposé”, confie à 7sur7 la gérante de cette petite enseigne familiale, Elisabet Colomer Serrano. La Catalane et son compagnon, originaire lui de Milan, n’avaient jamais eu à travailler de cette façon et leur carte de plats à partager n’était pas forcément prédisposée au “take away”. Une crainte rapidement confirmée: certaines suggestions n’étaient pas compatibles avec le transport et les délais de livraison. La cuisson de leurs spécialités, généralement consommées rapidement, se muait soudainement en équation à plusieurs inconnues. “L’enthousiasme s’est quelque peu éteint”, confesse-t-elle, non sans amertume. “Au début, on débordait d’idées mais là l’envie n’y est plus. Les économies personnelles commencent à y passer et on ne sait pas vraiment de quoi demain sera fait”, ajoute-t-elle. Son restaurant a reçu “7.000 euros” depuis le début de la crise. Une aide purement symbolique, largement insuffisante. L’avenir? Elisabet ne préfère même pas y penser: “Je ne suis plus les actualités”, avoue-t-elle. Une voix à prendre en considération, parmi tant d’autres souvent désemparées: la triste réalité d’un secteur au bord du désespoir (suite en dessous).
L’inégalité du soutien
La première fermeture des restaurants s’est étendue du 14 mars au 8 juin tandis que la deuxième date du 19 octobre. Un an après le début du premier confinement, l’heure est au bilan des aides et primes consenties à l’horeca, un soutien inégal d’une région à l’autre, relate Belga. Au-delà du droit passerelle (1.614,10 euros avec charge de famille et 1.291,69 euros sans, même si un service traiteur a été mis en place) versé mensuellement aux indépendants depuis mars dernier par le gouvernement fédéral (doublé depuis octobre), les Régions ont également accordé des primes aux entreprises des secteurs touchés par l’obligation de fermeture aux premier et deuxième confinements. Des allocations de chômage temporaire ont en outre été octroyées aux employés dans l’impossibilité de travailler.
Un pays, trois traitements
C’est principalement les aides régionales, qui ont fonctionné d’après un système de montant unique, qui concentrent les critiques, précise l’agence de presse nationale. Au premier confinement, les aides versées s’élevaient à 4.000 euros à Bruxelles, 5.000 euros en Wallonie et 3.000 euros en Flandre accompagnés d’un forfait de 100 euros par jour de fermeture. Au deuxième en revanche, les montants ont été recalculés: deux fois 1.500 euros à Bruxelles, aide comprise entre 3.000 et 9.000 euros en Wallonie et prime égale à 10% du chiffre d’affaires en Flandre. Le gouvernement fédéral a en outre prévu une dispense de paiement des cotisations ONSS pour les employeurs de l’horeca notamment, sous certaines conditions.
“Le secteur va éclater”
“J’ai reçu de multiples clignotants ces derniers temps, on est clairement dans les semaines de trop. La rage gronde par rapport aux disparités entre Régions. Je ne sais plus tenir la base, le secteur va éclater. On ne peut pas tenir les gens à genoux éternellement. Je ne connais d’ailleurs pas un autre secteur qui aurait accepté cette situation”, déplorait le président de la Fédération Horeca Wallonie, Thierry Neyens, avant l’annonce de la réouverture le 1er mai. Il s’attendait d’ailleurs déjà à des annonces lors du comité de concertation du 26 février. Le silence radio des autorités avait alors “allumé la mèche”.
“Deux mois, c’est encore long”
La Fédération Horeca Bruxelles revendiquait, elle, une réouverture des cafés et restaurants le 1er avril, à la veille du début des vacances de Pâques, avec une augmentation progressive de la bulle. Ce sera finalement un mois plus tard. La décision donne enfin “une vraie perspective”, s’est toutefois réjoui l’administrateur Fabian Hermans. “Mais deux mois, c’est encore long. Il va falloir trouver des fonds pour tenir jusque-là alors que les caisses sont vides...”
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