L’Ukraine dans le noir: le courage de la population vu par un bénévole belge en poste à Odessa

Il y a près de dix mois, Fabrice a tout laissé derrière lui pour venir en aide aux Ukrainiens. Dans un premier temps, le Belge s’est installé à Medyka, en Pologne. Durant plusieurs mois, il a occupé un stand situé à 200 mètres de la frontière ukrainienne, d’où il aidait la population en fuite. Il se rendait également en Ukraine pour apporter des vivres à la population restée sur place. Aujourd’hui, Fabrice a passé la frontière et s’est installé à Odessa, dans le sud de l’Ukraine.

C’est non sans peine que nous sommes entrés en contact avec lui. En effet, depuis plusieurs semaines, la ville connaît d’importantes coupures de courant, et le bénévole ne peut recharger son téléphone ou son ordinateur à sa guise. Une situation qui s’est fortement aggravée le mercredi 23 novembre, après l’attaque russe sur les infrastructures énergétiques. “Il y a eu un mieux ce week-end, mais de nombreuses familles n’ont toujours pas accès à l’électricité. Certaines m’ont d’ailleurs dit n’avoir eu que quatre heures de courant au cours de la semaine écoulée”, nous explique Fabrice

Selon le Belge, c’est un cercle vicieux: “En cette période, il fait noir plus vite, alors les habitants ont besoin de plus de lumière artificielle. Il fait aussi de plus en plus froid, en moyenne 2°C en journée et sous les -2°C la nuit. Les gens utilisent davantage leur chauffage. En outre, l’eau est généralement chauffée grâce à des boilers. La demande d’électricité explose, et l’unique centrale électrique de la ville ne produit plus assez pour fournir correctement la population.”

À tel point que de nombreux commerces ont dû fermer leurs portes, ce qui crée des scènes cocasses, mais provoque aussi de la nervosité au sein de la population. “On doit désormais faire nos courses avec des lampes de poche. Beaucoup de supérettes n’ont que des balances électroniques, il est dès lors impossible de peser la marchandise. Les employés doivent estimer le poids des aliments, ce qui est assez subjectif”, explique le bénévole belge. “Aujourd’hui, la situation s’est un peu calmée, mais au début, les gens étaient nerveux. J’ai notamment vu une caissière se faire agresser par un client, car le terminal de paiement ne fonctionnait pas.” Selon Fabrice, dans le centre d’Odessa, 70% des bâtiments et des rues ne sont plus éclairés.

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Pour tenir le coup, certains habitants ont investi dans des générateurs. Une solution de secours qui a toutefois quelques inconvénients: les quartiers sont devenus extrêmement bruyants et cela génère de la pollution. “À chaque fois que je mets un pied dehors, je suis surpris par l’odeur qu’ils dégagent”, commente Fabrice.

Les transports en commun sont devenus inutilisables (tram et bus électriques), poussant les habitants d’Odessa à utiliser davantage leur voiture. Ajoutez à cela l’utilisation importante de générateurs, et vous avez un risque grandissant de pénurie d’essence. “Les autorités ont déjà annoncé qu’elles allaient augmenter les prix des carburants, mais aussi qu’elles craignaient qu’il n’y en ait bientôt plus assez pour tout le monde”, précise Fabrice.

Pour s’éclairer, outre l’utilisation de générateurs pour les ménages qui en ont les moyens, la population ukrainienne utilise des bougies. Ce qui n’est pas sans danger. Mardi, neuf personnes sont décédées dans des incendies domestiques causés par des bougies, des générateurs ou des appareils au gaz. “Pour la seule journée de mardi, il y a eu 131 incendies en Ukraine, dont 106 dans des habitations privées. Neuf personnes sont mortes et huit ont été blessées”, ont précisé les services d’urgence ukrainiens dans un communiqué partagé sur Facebook.

Mercredi, le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba, a évoqué la nécessité de restaurer rapidement les infrastructures énergétiques civiles du pays. Il a également rappelé les pays alliés de Kiev à “fournir à l’Ukraine les équipements nécessaires, les transformateurs et les générateurs qui aideront à compenser les infrastructures énergétiques endommagées”, un soutien “extrêmement important”, selon un communiqué publié par son ministère.

Si nous écrivions plus tôt que nous avions eu du mal à entrer en contact avec Fabrice, c’est non seulement à cause du manque d’électricité, mais aussi à cause d’avaries sur le réseau. En effet, sans courant, les pannes d’Internet sont récurrentes. “Les forces russes ont abattu nos antennes-relais, ce qui signifie que le réseau mobile est complètement HS”, indique Fabrice.

Cette impossibilité de se connecter au réseau a des conséquences non négligeables sur la survie des habitants d’Odessa. Selon le bénévole belge, les frontières avec la Moldavie et la Croatie sont complètement fermées aux véhicules. “Il est toujours possible de passer d’un pays à l’autre à pied, mais en voiture, en camion ou à moto, c’est impossible. Apparemment, c’est parce que, sans Internet, il est devenu impossible pour les postes frontaliers de vérifier les plaques d’immatriculation. C’est une question de sécurité.” Il est dès lors plus difficile pour les bénévoles d’apporter des vivres et des biens de première nécessité.

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Pour faire face à la pénurie d’électricité, la population et les autorités locales ont trouvé une solution. “À l’initiative de commerçants, des ‘centres d’invincibilité’ ont été aménagées dans la ville. Les habitants peuvent venir s’y chauffer, recharger leur téléphone et ont accès à Internet. La Ville a ensuite embrayé le pas. Généralement, on peut y rester une heure maximum”, indique Fabrice. “Je trouve cela incroyable. Dans l’adversité, les habitants trouvent des solutions, s’organisent efficacement et s’entraident.”

Selon le Belge, les Ukrainiens limitent beaucoup leur consommation électrique, et ce, pour le bien commun. “Ils n’allument presque jamais la lumière, sauf lorsque c’est vraiment nécessaire. Beaucoup n’ont pas eu le choix, mais d’autres ont décidé d’eux-mêmes de débrancher leur frigo ou de ne pas rallumer le chauffage, malgré les températures qui baissent. C’est mon cas, alors qu’il fait à peine 11°C dans mon appartement”, indique le bénévole. “Je suis réellement impressionné par l’abnégation des Ukrainiens face à la crise, et aussi par leur calme. Il y a constamment des alertes, mais jamais ils ne paniquent.”

Mise à jour vendredi 2 décembre: Alors que nous étions en train de conclure notre article, Fabrice nous a écrit pour nous informer d’une “nette amélioration” sur le réseau électrique, avec, notamment, une remise en route de la moitié des transports publics.

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