Svetlana a dû fuir et laisser son fils en Ukraine, mais n’aspire qu'à le retrouver: “Il est mon sang, je ne peux pas l’abandonner”
Svetlana et Nataliia ont quitté Kharkiv, mercredi dernier. Il n’était plus possible pour elles de vivre dans cette ville assiégée, où la population vit au rythme des bombardements, des tirs d’armes à feu et des explosions. Non sans peine, Svetlana a dû laisser derrière elle ses parents et son fils de 18 ans. Eux sont restés à Kharkiv, à proximité de la frontière russe, lui se trouve actuellement à Lviv, plus proche de la Pologne. Au terme d’un voyage de plusieurs jours, les deux Ukrainiennes sont arrivées en Belgique où elles espèrent trouver un peu de sérénité.
Sarah Moran GarciaDernière mise à jour:21-03-22, 08:23
Nous sommes vendredi. Le ciel est dégagé, le soleil brille. Il y a dans l’air comme un parfum de printemps. Nous sommes le 18 mars 2022 et nous avons rendez-vous avec Svetlana, Nataliia et Gaëtan au Van der Valk, à Verviers. Nous retrouvons ce dernier dans le hall de l’hôtel. Il nous mène aux deux amies, qui viennent de terminer leur petit-déjeuner. Les Ukrainiennes sont arrivées la veille en Belgique, après un voyage de plusieurs jours à travers l’Ukraine, la Pologne et l’Allemagne. Sur leur visage se lit un mélange d’émotions. Du soulagement, tout d’abord, celui d’être en sécurité. De la fatigue, forcément, après leur périple. Mais aussi de la crainte, de la peur pour leur famille et leurs amis restés au pays.
Mon immeuble a été touché. Mon balcon s’est effondré et les fenêtres ont explosé. Nous avons été très choqués.
Svetlana
Nataliia préfère rester discrète sur sa vie en Ukraine, sur ce qu’elle a vécu, et refuse poliment de répondre à nos questions. Quant à Svetlana, les yeux humides, elle accepte de nous parler un peu d’elle. Elle est née et a vécu toute sa vie en Ukraine. Elle a quitté Kharkiv le mercredi 16 mars pour rejoindre la Belgique. C’est cette ville qui, le 24 février dernier, fut le théâtre des premières attaques russes. Pour la mère de famille, partir était une question de survie.
Son appartement a été touché
La guerre qui fait actuellement rage dans une partie de l’Ukraine, Svetlana, comme nombre de ses compatriotes, ne s’y attendait pas. “Je pensais que ce n’étaient que des menaces. Jusqu’au jour où les premières explosions se sont fait entendre. Trois ou quatre jours après le début des attaques russes, mon immeuble a été touché. Mon balcon s’est effondré et les fenêtres ont explosé. Mon fils et moi avons été très choqués”, se souvient-elle.
Dans un premier temps, Svetlana et son fils de 18 ans ont vécu dans leur appartement du premier étage, et plus exactement dans le couloir le plus éloigné des fenêtres et de l’extérieur. De part et d’autre de leur abri de fortune, deux murs les séparaient du danger de la guerre. Ensuite, ils ont vécu un temps dans le sous-sol de l’immeuble. À l’extérieur, le conflit faisait toujours rage. Entre le début de l’invasion russe et le jour où elle a quitté Kharkiv, les bombardements n’ont jamais cessé, nous explique Svetlana: “Les attaques, c’était jour et nuit. Nous écoutions et entendions des bruits au loin, en nous demandant si c’était une bombe qui avait explosé ou une personne qui avait été tuée par arme à feu.”
Le départ
Puis un jour, la mère de famille s’est dit qu’il était temps de partir, de quitter Kharkiv et de s’éloigner le plus possible de la guerre. N’ayant aucun moyen de locomotion propre, Svetlana s’est lancée à la recherche d’une personne qui pourrait les emmener, elle et son fils, à la gare. Ou au moins, d’un véhicule qu’elle pourrait emprunter. Marcher jusque-là était impensable. La seule solution pour elle a été d’appeler un taxi, qu’elle a partagé avec son fils, une femme qu’elle avait rencontrée dans le sous-sol de son immeuble, et son enfant d’à peine un mois. “Habituellement, le trajet jusqu’à la gare coûte 10 dollars, mais cette fois-là, il nous en a coûté 200 dollars”, indique Svetlana. Elle suppose que c’est parce que les taximans prennent beaucoup de risque à circuler dans les rues.
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Arrivés à la gare, beaucoup d’autres personnes attendaient pour quitter Kharkiv. “Là, un militaire m’a dit que seules les femmes étaient autorisées à partir et que les hommes devaient rester. J’ai commencé à pleurer, à le supplier de rester avec mon fils. Il est mon sang, je ne pouvais pas le laisser seul.”
L’homme a fini par accepter, et Svetlana et son fils, toujours accompagnés de la femme et son bébé, ont pris la direction de Lviv, à une quinzaine d’heures en train de Kharkiv. Un trajet qu’ils ont fait de nuit. Les quatre Ukrainiens se sont ensuite séparés. Svetlana et son fils ont sauté dans le premier bus qui les a conduits à Trouskavets, un peu plus au nord du pays. “J’ai été étonnée de ne voir que des femmes dans les rues. Je leur ai demandé de l’aide pour trouver un logement temporaire. Nous avons dormi une nuit dans un premier appartement, avant de changer d’endroit” explique-t-elle.
Solidarité
Ce qui a marqué Svetlana, lors de son voyage entre Kharkiv et Trouskavets, c’est la solidarité du peuple ukrainien. Tous étaient prêts à les aider, elle et son fils. Cette solidarité, elle l’a aussi retrouvée dans les autres pays qu’elle a traversés par la suite. Malheureusement, une personne est restée en Ukraine: son fils. En effet, depuis l’instauration de la loi martiale, le 24 février dernier, les hommes de plus de 18 ans ne peuvent plus quitter le pays et sont même appelés à se battre.
Depuis le début du conflit, je cherchais un moyen de me rendre utile. Je me suis engagé à les aider administrativement.
Gaëtan
Après avoir traversé la Pologne, Svetlana et Natallia, qui l’accompagnait également depuis le début, sont arrivées à Leipzig, où elles ont passé la nuit. Les deux amies auraient bien aimé rester sur place, car la ville ne se trouve pas loin de la frontière polonaise, et de ce fait de l’Ukraine, mais les camps étaient déjà saturés. Elles ont passé la nuit du 16 au 17 mars dans le stade de la ville, mais n’ont eu d’autres choix que de poursuivre leur route dès leur réveil. Durant toute la durée du voyage, Nataliia a été en contact avec Gaëtan, un Belge rencontré lors d’un programme “tandem” (une méthode qui consiste à mettre en contact deux personnes ne partageant pas la même langue maternelle, NDLR). “On s’était un peu perdus de vue, mais elle m’a recontactée il y a quelques jours pour me demander si je ne connaissais pas quelqu’un qui pouvait les héberger, elle et Svetlana”, nous explique Gaëtan. “Depuis le début du conflit, je cherchais un moyen de me rendre utile. J’ai donc accepté de les aider. N’ayant pas de deuxième chambre chez moi, je ne pouvais les accueillir, mais je me suis chargé de trouver une personne pour les héberger et me suis engagé à les aider administrativement.”
Les deux Ukrainiennes et Gaëtan se sont donné rendez-vous à Cologne. Le Belge les a ensuite emmenées à Verviers, où elles ont pu dormir à l’hôtel Van der Valk. “Après tout ce qu’elles avaient traversé, je voulais leur offrir une bonne nuit réparatrice. Et aussi leur permettre de se retrouver un peu avant de faire un effort social dans un pays qu’elles ne connaissent pas”, poursuit Gaëtan. Depuis vendredi, et pour une semaine seulement, Svetlana et Nataliia sont hébergées chez une dame, à Polleur (région verviétoise). Une solution plus pérenne devra ensuite être trouvée.
Malgré la sérénité partielle retrouvée en Belgique, les pensées de Svetlana vont toujours à son pays et à son fils. Mais aussi à ses parents, qui sont, eux, restés à Kharkiv. Par contrainte, car son père n’est pas capable de se mouvoir, mais aussi par choix, car sa femme, la mère de Svetlana, veut rester à ses côtés. “Peut-être que quand ça ira mieux dans mon pays, j’y retournerai. Mais je ne sais pas combien de temps les problèmes vont durer. La Russie est de plus en plus dangereuse. Avant, elle ne s’attaquait qu’aux militaires, mais à présent elle s’en prend aux civils. L’envahisseur ne semble plus avoir de cible, mais tire au hasard.”
Kharkiv en feu
Selon Svetlana, toute l’Ukraine est sous pression russe. Mais certaines villes sont plus concernées que d’autres, comme Kyiv, Marioupol ou Kharkiv. Elle regrette d’avoir vu sa “belle ville natale” être transformée en champ de bataille, d’avoir vu des étendues de plusieurs kilomètres en proie aux flammes. “C’était une très belle et ancienne ville, avec beaucoup de monuments historiques. Mais ils ont été détruits par les frappes russes. Ils ont même bombardé des parcs où il n’y avait personne. Pourquoi s’en prendre de la sorte à notre culture, à nos traditions?”, s’interroge Svetlana.
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Malgré les événements, elle n’en veut pas au peuple russe. “Ils n’ont pas choisi ce qu’il se passe actuellement”, commente-t-elle. D’ailleurs, une grande partie de la population n’est pas d’accord avec les décisions de leur dirigeant, Vladimir Poutine. Svetlana n’en veut même pas aux soldats russes, qui, selon elle, ont été forcés à envahir l’Ukraine, même s’ils ne le souhaitaient pas.
Avant de nous quitter, Svetlana nous confie sursauter au moindre bruit. Bien que loin des bombardements, le fracas des explosions résonne encore dans sa tête. Ce qu’elle a vécu, et que vivent encore de nombreux Ukrainiens dans leur pays, la marquera encore longtemps. Elle aspire, à présent, à plus de sérénité et espère pouvoir bientôt retrouver son fils et ses parents, en Belgique ou ailleurs.