Infirmière au CHU Charleroi, Julie témoigne: “Je suis fatiguée, apeurée, mais je suis là”
Ce mardi est la Journée Internationale des infirmières et infirmiers. Cette année, cette journée prend d’autant plus son sens que le coronavirus s’est abattu sur nos contrées avec de nombreuses victimes à la clé. Une infirmière du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Charleroi a voulu partager son ressenti.
Malik HadrichSource:Facebook ISPPC - CHU de Charleroi
Passer une journée avec une infirmière n’a jamais été aussi périlleux qu’à l’heure actuelle. Julie Oversteyns du CHU de Charleroi a transcrit l’expérience de son quotidien en un texte. Celui-ci a été publié il y a quelques jours sur la page Facebook de son employeur.
Nous avons souhaité partager ce témoignage émouvant dans son intégralité. Car comme chaque vie, chaque mot compte dans cet écrit.
“Les portes vitrées transparentes du garage des ambulances s’ouvrent sur une voiture dont sortent deux personnes. Côté passager, une femme portant déjà le masque chirurgical qui vient de lui être remis par le steward d’accueil du circuit COVID, à l’extérieur du bâtiment. Côté conducteur, un homme quitte sa place, contourne le véhicule pour venir étreindre cette femme. L’image me marque. Une patiente de plus dans cette journée harassante, mais de ce couple émane ce que je redoute le plus: l’image de la peur de l’inconnu.
Tous ces couples, ces parents, ces amis, ces enfants qui dans les semaines à venir devront prendre congé les uns des autres sur le pas de porte d’un hôpital, sachant pertinemment que le prochain rendez-vous sera à la sortie, sans savoir si ce sera sur deux pieds ou les deux pieds devant... J’en frissonne, inondée par l’amour qui se dégage de cet instant volé. Ce sera l’image du jour, la seule bribe de mon travail que j’aurai la force de raconter à mon mari une fois rentrée après 12 heures passées là-bas. Cette patiente, je m’en souviens parfaitement comme je me souviens de toutes les personnes qui franchissent le sas des urgences: c’était vous, Madame.
Accueil
Mon collègue, que j’ai envie de vous dépeindre dans ses vraies couleurs, vous accueille. Il porte une surblouse jaune, une charlotte verte, des gants bleus et un masque blanc. Le summum du bon goût, il faut l’avouer : nous ressemblons à de petits canetons chamarrés. Au dessus de son masque, on n’aperçoit que ses yeux d’un vert cristallin, eau des Caraïbes. Un regard souvent malicieux, mais peut-être était-il déjà un peu fatigué de notre cadence de travail.
Drillé par les ‘ratés’ vécus avec les nombreux patients qui vous ont précédé dans cette salle, il vous donne des indications assertives, précises et sans appel
Julie Oversteyns, Infirmière au CHU
Drillé par les ‘ratés’ vécus avec les nombreux patients qui vous ont précédé dans cette salle, il vous donne des indications assertives, précises et sans appel car il y va de notre sécurité, et par corollaire, de celle de tous nos patients. Vous devez avancer et vous placer sur cette ligne, déposer votre carte d’identité sur cette lingette désinfectante, désinfecter vos mains en les passant sous ce distributeur de solution hydroalcoolique sans toucher l’appareil. S’il vous plaît, Madame.
Nous gardons nos distances avec vous. Parce que la distanciation sociale est imposée au civil, et a fortiori dans notre pratique professionnelle. Le stock de blouses de protection fond lui aussi de jour en jour, même s’il fait moins le buzz que la saga des ‘Masques à Maggie’. Nous devons rester propres le plus longtemps possible. Pas que vous soyez sale, Madame. La précaution fait que nous vous considérons comme un cas COVID jusqu’à preuve du contraire. Dans quelques minutes, nous accueillerons le patient suivant. Il reste 4 blouses dans notre chariot, il en faut pour l’équipe de nuit tout à l’heure. Nous devons rester propres.
Vous voilà entrée dans un service d’urgences COVID-19! Rien que l’intitulé est pompeux... ce n’est qu’un banal service d’urgences. Un parmi tant d’autres. Un de plus qui doit faire face à un imprévu d’une taille impressionnante, dans des délais qui n’en sont pas, s’adaptant de jour en jour, d’heure en heure, pour répondre avec les moyens du bord à sa vocation première: diagnostiquer et soigner.
Isolement
À cet effet, nous vous isolons, selon le protocole établi par nos médecins, hygiénistes, infectiologues et infirmières, dans l’un de nos quatre boxes. Le numéro 1. Quatre boxes encore inexistants en début de ce mois. Quatre boxes pour pallier l’urgence mondiale. Quatre boxes pour permettre de séparer les simples bobos et les cœurs qui s’arrêtent de l’ennemi invisible. Quatre boxes de fortune, des matériaux simples, peu coûteux, faciles à laver et à désinfecter. Pas que vous soyez sale, Madame.
Ces boxes donc, sont entièrement désinfectés entre chaque usager
Julie Oversteyns, Infirmière au CHU Charleroi Charleroi
La précaution fait que ces boxes, au contraire de ceux qui sont à l’étage et qui bénéficient d’un lavage quotidien consciencieux, ces boxes donc, sont entièrement désinfectés entre chaque usager: le sol, les murs, la paroi de plastique transparente, la chaise, le matériel de paramétrage que vous utiliserez vous-même car nous avons évalué que vous étiez une femme valide et avec les compétences cognitives suffisantes pour le faire.
Le grand rideau blanc, quant à lui, revêt de multiples utilités: il permet de faire passer les civières sans heurter votre sensibilité, il permet que vous puissiez retirer et remettre discrètement votre soutien-gorge lors de votre éventuelle radio du thorax, que les infirmiers vous laissent un peu d’intimité quand le médecin auscultera votre dos au travers de la paroi de plastique transparent sans entrer vous rejoindre. Pour rester propre le plus longtemps possible. Pas que vous soyez sale, Madame. Pour ce qui est de la froideur des néons, pardonnez-nous Madame, ils nous permettent juste d’accomplir nos tâches correctement. Sachez qu’ils sont aujourd’hui la seule lumière que nous verrons de l’aube au crépuscule...
Prélèvement
L’auscultation faite, la doctoresse envisage un prélèvement. Parce qu’elle n’a pas pour but de vous remballer à domicile d’un revers de main. Il y a un doute, il faut l’écarter. S’assurer que vos poumons font encore bien le travail auquel ils sont destinés: oxygéner votre sang. La doctoresse s’équipe avec du matériel supplémentaire pour vous rejoindre dans la cabine, car il nous faut ce prélèvement pour orienter votre prise en charge, pour réduire les pistes. Seconde paire de gants, tablier plastique, visière. Pas que vous soyez sale, Madame. La précaution fait que nous devons nous protéger de toute contamination malgré la promiscuité que nous instaurons avec vous.
Nous avons juste peur malgré que d’aucuns nous cracheront à la figure que nous avons choisi ce métier et que nous n’avons qu’à l’assumer
Julie Oversteyns, Infirmière au CHU Charleroi
Car nous ne pouvons pas tomber malades nous-mêmes. Ce serait une catastrophe. Pas pour nous en tant qu’individus. Nous avons juste peur malgré que d’aucuns nous cracheront à la figure que nous avons choisi ce métier et que nous n’avons qu’à l’assumer. Ce serait plutôt une catastrophe pour notre équipe qui est déjà au complet sur le terrain, sans banc de touche, sans joueurs réservistes. Ce serait une catastrophe pour les patients plus nombreux de jour en jour. Nous devons rester sains. Pas que vous soyez sale, Madame.
L’armure de plastique est une étuve. Confinée avec vous dans cet espace exigu et imperméable, où l’appareil de filtration de l’air dégage sa chaleur électrique, la doctoresse sue. Les gants lui amputent la merveilleuse sensibilité digitale dont elle dispose habituellement. Votre artère devient mystère. Elle cherche, essaie un autre angle, se concentre et néglige sans doute de vous faire la causette. Devant la paroi de plastique transparente et toujours close, l’infirmière se sent empathique: c’est pas joyeux dans l’artère, faudrait que ça sorte...
Le premier poignet ayant déjà souffert, elle se saisit de l’autre, le pose sur vos genoux croisés pour plus de stabilité
Julie Oversteyns, Infirmière au CHU Charleroi
‘Doc, tu veux que je m’habille?’ Les deux femmes hésitent, réussir ce prélèvement, utiliser un équipement de plus... Tant pis, l’infirmière y va. Le premier poignet ayant déjà souffert, elle se saisit de l’autre, le pose sur vos genoux croisés pour plus de stabilité. De jolis ornements égaient cette peau fine. L’infirmière aime cet art, elle en a aussi, beaucoup, caché sous ses nombreuses couches d’oignon jetables. L’artère bat sous l’encre, hors de question, elle va chercher plus haut, en dehors de l’art. Bingo, elle l’a, elle pique, elle aspire et elle sort! Ça va Madame? Vous n’avez pas eu trop mal? Elle entendra à peine le marmonnement sous le masque.
Sortie
Sortir précautionneusement, ôter nos protections de façon adéquate, précise, évacuer les aiguilles souillées, désinfecter la visière réutilisable... Encore plusieurs minutes avant de se défaire de cette impression de sauna qui nous colle à la peau, aller déclencher la porte automatique que vous avez franchie il y a quelques minutes pour bénéficier d’un bref instant d’air frais.
Faire la paperasse: dossier, examen, numéro de box, heure d’entrée, se rendre à l’étage pour analyser votre prélèvement, redescendre et donner les résultats au médecin, discussion sur l’attitude thérapeutique: symptômes, sang, profession...
Vous pourrez rentrer chez vous, près de votre mari, vous ne serez pas emprisonnée dans nos étages jusqu’à une date incertaine sans contact avec vos proches. Anticiper votre départ, prévenir la technicienne de surface, notre perle, notre poule sans tête qu’on a de la peine à faire courir autant et dont on voit la mine se déconfire au fil des heures. Pour offrir un box désinfecté au prochain patient. Pas que vous soyez sale, Madame.
‘Te reverrai-je?’
Entre temps, la doctoresse vous a expliqué les consignes, quoi faire, que surveiller et ne pas hésiter à revenir nous faire faire tout ce que nous avons dû faire pour vous si c’était nécessaire. Welcome. Vous étiez, Madame, l’un des soixante visages inquiets que nous avons accueillis ce jour-là. Vous étiez, Madame, l’image poignante de ma journée, blottie dans les bras de l’homme qui vous aime au sortir de votre voiture, vos postures chuchotant ‘te reverrai-je?’, et je vous ai emmenée avec moi. Vous étiez, Madame, une patiente que j’ai voulu renvoyer au plus vite loin de cet environnement hostile que deviennent nos urgences dans cette pandémie, avec l’approbation médicale, appuyée par l’analyse faite. Pas arbitrairement.
Vous n’étiez pas un numéro, Madame. Parce que je me rappelle de votre nom, parce que je rappelle de votre visage, parce que je me rappelle votre khôl et votre poignet, parce que je me rappelle l’humidité de vos yeux, parce que je me rappelle ces bras qui vous chérissent. Je suis là, je suis fatiguée, je suis apeurée, mais je suis là, vendredi, hier, aujourd’hui, demain. Pour vous, pour eux... tant que je serai debout face à ce virus qui nous menace tous”.
Ce récit a été couché sur papier le 29 mars dernier.
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