La kétamine, une drogue prometteuse pour lutter contre la dépression résistante

Selon les chiffres de mars 2022, la dépression touche 8% de la population belge. Un taux en net recul par rapport à la pandémie (de 13 à 22%), mais aussi par rapport à 2018 (9,5%). On considère qu’une personne est en dépression lorsque les signes dépressifs durent plus de deux semaines. Il existe également une forme longue, dite résistante, du trouble. Au-delà de deux ans, il est alors question de dépression chronique ou de dysthymie.

Pour un tiers des patients dépressif, les antidépresseurs ne marchent pas. Quand les traitements médicamenteux s’avèrent inefficaces, les médecins peuvent avoir recours aux électrochocs, toutefois, cette thérapie n’est pas disponible partout, et les effets ne sont pas garantis non plus.

Un autre traitement à la dépression résistante est possible. Il s’agit de la kétamine, une molécule synthétique utilisée comme produit anesthésique injectable. Elle est aussi employée comme analgésique, sédatif, et en médecine vétérinaire. La kétamine est également consommée comme psychotrope illicite pour ses effets hallucinatoires.

Ce sont des chercheurs américains qui ont découvert les effets antidépresseurs de la kétamine, après avoir remarqué que les patients anesthésiés avec de la kétamine se sentaient moins déprimés après leur opération. Des protocoles de recherches ont été mis en place, et en 2019, le dérivé de cette molécule, l’eskétamine, a été autorisée à la vente pour lutter contre les dépressions résistantes. Il s’agit d'un spray nasal appelé “Spravato”. Celui-ci est notamment utilisé en Belgique en deuxième ou troisième intention, si le premier traitement ne se montre pas efficace.

Le laboratoire Janssen, filiale de Johnson & Johnson ayant mis en vente le Spravato, parle d’une diminution de 70% des symptômes dépressifs chez les patients et d’une rémission pour la moitié d’entre eux, au bout de quatre semaines de traitement. Quelques effets indésirables sont toutefois à noter, tels que des modifications de la perception ou une sensation de dissociation corps/esprit, que les psychiatres appellent “syndrome d’Alice au pays des merveilles”. Ces derniers assurent que ces effets sont temporaires.

Jeanne (nom d’emprunt), une Française interrogée à ce sujet par Le Monde, est tombée en dépression sévère en 2019. Après avoir enchaîné des antidépresseurs qui se sont révélés inefficaces, un psychiatre lui a proposé un traitement à base de kétamine. L’effet a été immédiat, elle dit avoir eu l’impression de revivre. Benoit (nom d’emprunt), 55 ans, quant à lui, a été traité avec de l’eskétamine, de janvier 2021 à juin 2022. Il se souvient d’une sensation de pesanteur, “comme si je volais au-dessus de New York, c’était très agréable”. Et d’ajouter: “Ma vie a changé, c’est une énorme réussite. Aucun traitement n’avait marché jusque-là, mais je reste prudent .” Même son de cloche du côté de Jeanne.

Des chercheurs de l’Inserm, du CNRS, de l’Université de la Sorbonne et des médecins de l’Institut du Cerveau se sont penché sur le traitement à la kétamine. Il en ressort que les patients avaient une “capacité accrue à dépasser les croyances négatives qu’ils ont sur eux-mêmes et sur le monde, qui constituent un des symptômes de la maladie, lorsque des informations positives leur étaient présentées”, a indiqué l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans un communiqué de presse.

26 patients résistants aux antidépresseurs et 30 sujets contrôle, ont été étudiés. Dans un premier temps, les patients et les sujets sains ont dû estimer la probabilité que certains événements “négatifs”, tels qu'un accident de voiture, un cancer, la perte de son portefeuille, se produisent au cours de leur vie. Ils ont ensuite été informés de l’occurrence réelle de tels incidents dans la population générale. Tandis que les sujets sains ont mis à jour leurs croyances, ce ne fut pas le cas des patients déprimés. Ces derniers se sont ensuite vus administrer de la kétamine, à raison de 0,5 mg par kilo en quarante minutes, et ce, trois fois sur une semaine.

“Seulement quatre heures après la première administration, la capacité des patients à mettre à jour leurs croyances face à des informations positives était accrue. Ils devenaient moins sensibles aux informations négatives, et retrouvaient une capacité à mettre à jour leurs connaissances comparable à celle des sujets témoins”, indiquent les scientifiques. Et “ plus la capacité de mise à jour des croyances des patients était augmentée, plus l’amélioration des symptômes dépressifs était importante”.

Selon la psychiatre et chercheuse de L’Université de Yale, Lucie Berkovitch, la kétamine a complètement modifié l’approche et le traitement de la dépression. “Elle soulage immédiatement des patients qui devaient auparavant attendre plusieurs semaines avant d’aller mieux “, a-t-il indiqué à nos confrères du Monde. De la kétamine qui, “aux doses où elle est prescrite, n’est pas addictive”, assure le psychiatre Guillaume Fond.

Au Royaume-Uni et aux États-Unis, plusieurs cliniques de kétamine ont vu le jour ces dernières années. Les patients s'y font administrer de la kétamine par voie intraveineuse ou de l’eskétamine par spray nasal. En Belgique, seule l’eskétamine est officiellement utilisée pour combattre les troubles dépressifs graves.

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