InterviewPleurer après avoir fait l’amour. Des larmes incontrôlées, parfois accompagnées d’un sentiment de tristesse, qui sont bien plus courantes qu’on ne l’imagine. Mais que révèle cet état qui peut s’avérer déroutant? Laurane Wattecamps, sexologue, nous éclaire sur ce “blues” après le sexe.
Awatef DourheriDernière mise à jour:24-05-23, 11:59
C’est un phénomène fréquent, mais mal connu. Lorsque les larmes surviennent après le sexe, elles peuvent surprendre, voire interroger. “Pourquoi ces sanglots sont-ils incontrôlables? Qu’est-ce qui les explique?”, se questionnent celles et ceux qui se voient envahis par cette mélancolie inattendue.
Ces manifestations - qui peuvent durer quelques secondes comme des heures - portent en réalité un nom, comme nous l’explique Laurane Wattecamps, sexologue. “En termes de sexualité, il n’y a pas de normes. Le sexe est une expérience qui mêle l’émotionnel, le corporel, le psychologique. Qu’importe qu’il soit pratiqué en solo ou à plusieurs, il peut déclencher toutes sortes d’émotions. Des larmes qui se manifestent, par exemple, peuvent avoir diverses significations: tristesse, culpabilité, joie, etc. Quand les ressentis sont désagréables, le terme scientifique adapté est dysphorie post-coïtale.”
“De nombreuses personnes se sentent seules face à ces émotions”
Laurane Wattecamps
À travers ses consultations, la spécialiste observe que ce phénomène se manifeste surtout après l’orgasme. “Chez certain(e)s patient(e)s, il peut être spécifique à un rapport avec pénétration, chez d’autres à la masturbation. À savoir si c’est courant, la réponse est oui. Mais on en parle très peu et très peu d’études sont dédiées à ce sujet. De nombreuses personnes se sentent seules face à ces émotions qui se présentent, d’autant plus parce qu’elles pensent que ce n’est pas ‘normal’ de ressentir autre chose que de la satisfaction. Les quelques études réalisées sur la dysphorie post-coïtale présentent des résultats différents, mais je ne pense pas trop m’avancer en disant que tous les êtres humains ayant une sexualité risquent de vivre ce phénomène au moins une fois dans leur vie.”
Prisme émotionnel
La dysphorie post-coïtale, parfois appelée “sex blues”, est globalement associée à des ressentis inconfortables. Il est généralement question de tristesse, de mélancolie, d’irritabilité, de blues… “Soit un registre émotionnel qu’on qualifie habituellement de ‘négatif’. Il peut également arriver qu’une connexion charnelle intense déclenche une montée de larmes de joie, signe qu’un moment émouvant vient de se produire. Cela sera certainement mieux vécu par les partenaires qu’une montée de colère”, reconnaît Laurane, qui tient le compte Instagram “Sexplique-moi”. “Tout cela concerne le prisme émotionnel, mais on peut également observer des agitations plus physiques. Pour citer quelques exemples, ces émotions peuvent se présenter en raison de flashbacks d’abus, de relations passées, d’une ambivalence entre les casquettes que l’on porte au quotidien (mère et femme érotique, par exemple), d’un accouchement difficile ou tout simplement d’une période de vie éreintante.”
Chez certain(e)s, ces larmes s’accompagnent d’un sentiment d’abandon. Comme le rappelle Laurane, les moments d’intimité sexuelle amènent les êtres humains à être vulnérables et à s’abandonner. “Certaines personnes n’ont accès à cette connexion physique et émotionnelle que durant le sexe avec leur partenaire. Il est donc assez probable qu’une certaine forme de déprime puisse s’installer si l’alchimie diminue après le sexe. D’autant plus si le rapport sexuel a été intense. Dans ces cas-là, l’aftercare, soit le fait de prendre soin de l’autre après l’amour peut être central. Il permettra de revenir en douceur sur Terre.”
Pleurer après un rapport sexuel peut aussi exprimer un sentiment de culpabilité. C’est notamment le cas lorsqu’on a vécu une expérience qui va à l’encontre du système de valeurs qui nous a été transmis. “Par exemple, une enfant à qui on a dit que c’était mal de se faire du bien ou qu’on a réprimandé risque de devenir une adulte qui a honte de se masturber. Si on a le sentiment de trahir quelqu’un ou quelque chose, il est tout à fait possible que des émotions fortes se manifestent. Il peut être intéressant de les décortiquer pour mieux les comprendre.”
Quelle réaction avoir?
Voir des larmes couler sur les joues de sa ou son partenaire peut être déroutant. Alors, comment réagir? “Certaines personnes préfèrent rester seules, d’autres ont besoin de verbaliser et de comprendre ce qu’elles traversent alors que d’autres encore ressentent l’envie d’être rassurées et prises dans les bras. Si votre partenaire traverse un moment difficile après un rapport, il peut être utile de dédier un espace émotionnel à son bien-être: ‘que puis-je faire pour toi?’, ‘qu’est-ce qui te ferait du bien?’, ‘est-ce que tu souhaites en parler?’ sont autant de questions que l’on peut poser.”
Soulignons toutefois qu'il est possible que ces émotions soient présentes sans faire sens pour autant. La personne ne comprend tout simplement pas ce qui lui arrive. “Prendre un recul mental sur la situation peut être une solution: ‘Je ressens une tristesse sans savoir pourquoi. Je vais accueillir ces larmes sans les juger et attendre que ça passe’. Certains besoins peuvent se manifester: envie de crier, de mettre le corps en mouvement, de prendre l’air. Il est important de s’écouter et de garder en tête que cet état n’est pas figé dans le temps, il va évoluer jusqu’à s’apaiser.”
Et si ça ne s’apaise pas, il est toujours utile de consulter une ou un sexologue. “Si une souffrance psychologique s’installe, il est toujours conseillé de demander de l’aide. Personnellement, j’accompagne les personnes souffrant de dysphorie post-coïtale notamment avec de l’hypnose conversationnelle. Je leur propose des outils de gestion émotionnelle et de sondage du corps sur les émotions du passé éventuelles qui voudraient trouver un espace pour s’exprimer.”