Pourquoi “Friends” déchaîne toujours autant les passions?

Lorsqu’elle débarque en 1994, la série est partout. Les téléspectateurs découvrent chaque semaine un nouvel épisode, la coupe de cheveux de Jennifer Aniston est reproduite dans tous les salons de coiffure et le célèbre “I’ll be there for you” tourne en boucle dans toutes les têtes.

Vingt-sept ans - et un épisode spécial - plus tard, “Friends” déchaîne toujours autant les passions. Mais sa popularité ne s’explique pas seulement par la nostalgie des fans de la première heure. Elle est également due à une nouvelle génération de “binge-watchers” du monde entier qui se reconnaissent dans ses personnages et leurs histoires, même si la série a été diffusée bien avant la naissance de certains d’entre eux.

Les raisons d’un tel succès? Sa qualité, d’abord. “C’est l’une de toutes grandes séries de ces 30 dernières années”, entame Mathieu de Wasseige, professeur à l’IHECS et auteur de “Séries télé US: l’idéologie prime time”. “C’est une série de grande qualité, avec de bons acteurs et des répliques efficaces”.

“C’est que c’est une série qui est très bien écrite et qui est très drôle”, confirme Sarah Sépulchre, professeure à l’Université catholique de Louvain et auteure du livre “Décoder les séries télévisées”. “Les gens ne sont pas idiots – si elle n’était pas drôle, ils ne la regarderaient pas. Non seulement, cette série est intéressante, elle nous accroche par l’histoire, par les personnages qu’on aime et dans lesquels on se reconnaît, mais en plus, elle le fait en étant vraiment drôle”.

Pour la nouvelle génération, “Friends” renvoie à une époque plus simple, avant que les smartphones et les réseaux sociaux ne dominent notre attention, et, pire encore, qu’une pandémie ne nous enferme chez nous. “Ils retrouvent quelque chose qu’ils n’ont plus aujourd'hui”, affirme Mathieu de Wasseige. “On parle souvent du divertissement comme une forme d’escapisme - il permet de s'échapper de ce qu'il se passe dans la vie réelle. Dans Friends, on a six amis qui profitent de la vie ; c’est une projection de ce qu'on ne peut plus faire depuis 15 mois. En plus de ça, ils n’ont pas de smartphone. On est face à un rassemblement d’amitiés assez sincères et présentielles qui donnent un côté léger et sympathique à la sitcom”.

Aux États-Unis, l’arrivée de “Friends” sur Netflix coïncide également avec le début de l’ère Trump, note également M. de Wasseige. “Cette période a été très dure et très agressive. Friends, c’est l’exact contrepied de ça. C’est la gentillesse incarnée, la bienveillance. Ce sont des amis qui sont là les uns pour les autres. Ça n’aborde pas vraiment de sujets de société - ou très peu - parce que ce n’est pas le but d'une sitcom”. Une légèreté bienvenue auprès des ados américains - et d’ailleurs - qui grandissent dans une société particulièrement marquée par les crises à répétition. 

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Au-delà de son humour et de sa construction intelligente, la série est également pionnière dans bien des domaines, et notamment au niveau de sa cible. Dans un paysage audiovisuel alors dominé par des sitcoms familiales, “Friends” débarque comme un OVNI en proposant de suivre les histoires d’une bande d’amis. Une première à l’époque. “Jusque-là, on n’avait que des sitcoms familiales, telles que Quoi de neuf docteur? ou Le prince de Bel-Air, avec une famille nucléaire et un électron libre qui venait agiter tout ça”, analyse Sarah Sépulchre. “Avec Friends, on a pour la première fois affaire à des gens dans la même tranche âge. La cible est très claire: des jeunes adultes qui ont plus ou moins le même âge que les personnages ou des adolescents à qui on n’a jamais proposé un tel contenu”.

Les thèmes abordés dans la série, qui parlent à n'importe quel jeune adulte en quête de sens, expliquent également son succès intemporel. “La série raconte des histoires qui restent universelles et qui, à l’époque, étaient un peu neuves”, poursuit la professeure. “Ce sont des adulescents qui entrent dans l’âge adulte et qui ne savent pas trop quoi faire de leur vie. Un phénomène qui est apparu dans ces années-là, et qui, comme on le voit aujourd’hui, est toujours d’actualité 25 ans plus tard”.

“Ce que je trouve extrêmement intéressant, c’est que ça a provoqué un débat social. La série peut être problématique ou pas, si personne le dit, personne ne le sait. Si on dit que cette série est vachement bien sur certains points, c’est dit. Et si on dit qu’elle a des problèmes, c’est dit aussi”, résume la spécialiste des séries.

Un avis partagé par Mathieu de Wasseige, qui estime que ces défauts ne devraient pas empêcher d’apprécier la série avec un regard critique lorsque c’est nécessaire. “Ça ne veut pas dire que ces blagues sont cautionnables ou excusables, mais c’est toujours délicat de relire le passé avec l’œil d’aujourd'hui. C’est un débat qui est intéressant à faire et qui est nécessaire, mais de là à dire: ‘Cette série, ça vaut pas la peine d’être regardée parce qu'il n’y a que des blancs’... Je ne suis pas sûr”.

Alors si la série est globalement réussie et profite encore de son succès initial malgré ses défauts, était-il vraiment nécessaire de lui offrir un ultime épisode? Le pari était risqué, les reboots des séries cultes de notre enfance étant souvent décevants. “Je suis toujours sceptique des retours”, avoue Sarah Sépulchre. “Souvent, ça ne marche pas. Ici, ils ont visiblement réussi à renouveler la magie tout en proposant un programme d’analyse, de compréhension de ce que la série a pu être, de comment les acteurs ont pu la vivre à l’époque, etc”.

“Je pense qu’ils n’ont jamais envisagé de faire un vrai épisode, parce que le risque était très grand que ce soit moins bon. Quand on arrête pendant autant d’années, c’est toujours compliqué de se remettre dans son rôle de manière juste”, ajoute de son côté Mathieu de Wasseige. Après avoir laissé entendre que les personnages reviendraient le temps d'un épisode, les producteurs ont finalement opté pour un talk show empreint de nostalgie. Un joli coup marketing qui permettra probablement de renégocier les droits de la série à la hausse, alors que le contrat avec Netflix arrive prochainement à échéance. Et de quoi offrir aux téléspectateurs un moment de plaisir, en replongeant dans leurs souvenirs et en découvrant ce que Monica, Rachel, Phoebe, Chandler, Joey et Ross sont devenus, près de vingt ans plus tard.

“Friends - The Reunion” sera disponible en VO sous-titrée en français sur Auvio dès ce dimanche 13 juin et à la télévision, sur Tipik, le 20 juin prochain.

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