Comment le crocodile Lacoste est né

Son patronyme fait partie de la légende du sport et de la mode. À l'instar de l'Anglais Fred Perry ou de l'Américain Stan Smith (pour ne citer qu'eux), René Lacoste est devenu une figure de la pop culture, relégant ses exploits tennistiques de l'entre-deux-guerres au second plan pour les non initiés. Non content d'avoir révolutionné son sport, Lacoste en a modifié les codes à une époque où l'on tapait la balle en chemise manches longues et en pantalons de flanelle.

Coton piqué
Vainqueur de sept tournois du Grand Chelem, numéro un mondial en 1926 et 1927, membre des immortels Mousquetaires aux six saladiers d'argent consécutifs (1927-1932), le Français Lacoste s'inspire du vêtement porté par les joueurs de polo des Indes Britanniques au 19e siècle, l'améliore et le transpose à sa discipline sans dénaturer le dress code de la haute société à laquelle elle appartient.

"Un jour, j'ai vu mon ami le Marquis de Cholmondeley porter sa tenue de polo sur un court de tennis", expliquait-il en 1979 à People Magazine. "Je me suis dit que c'était très pratique". À tel point qu'il fait appel à un tailleur anglais pour lui confectionner ce qu'on appellera plus tard un polo, en coton piqué. Le vêtement imaginé par Lacoste résolvait le problème des tenues d' époque et permettait d'exécuter des gestes fluides, délestés de ses encombrantes manches retroussées. La légende était lancée.

Comme un vrai crocodile
Lacoste est le premier à apparaître sur un terrain en manches courtes,
lors de l'US Open de 1926, à New York, dans un pays qui l'a déjà adopté.

Car c'est déjà aux Etats-Unis que le destin de René Lacoste avait basculé trois ans plus tôt. Malgré lui. L'histoire retient qu'en passant devant une vitrine d'un magasin de Boston, Alan Muhr, son capitaine de Coupe Davis, lui montre une valise en peau de crocodile et la met en jeu en cas de victoire lors de son prochain match. L'anecdote, parvenue aux oreilles du journaliste George Carens, fera le tour du monde et traversera les années. "Le jeune Lacoste n'a pas remporté sa valise en peau de crocodile, mais il s'est battu comme un vrai crocodile", pouvait-on lire dans le Boston Evening Transcript.

Plus qu'un surnom, la jeune coqueluche des courts de tennis en fera son emblème et l'aposera sur ses tenues en 1927. Visionnaire, René Lacoste - par ailleurs inventeur de la machine à balles - se lance dans le textile en 1933 avec André Gillier, un ami frabriquant de tricots. "La Chemise Lacoste" est née, le modèle étant une reproduction identique à celui porté par le champion à l'heure de ses exploits. 

Eisenhower et JFK
Peu à peu, la marque conquiert les joueurs de tennis. Mais son créateur voit plus loin, souhaite élargir sa gamme, en variant les coloris tout en conservant un caractère haut de gamme à prix peu démocratique. Son arrivée sur le marché américain dans les années 50 sera couronnée de succès.

Le président Dwight Eisenhower en fait son vêtement favori pour jouer au golf notamment. Tout comme les Kennedy quelques années plus tard. Depuis lors, ses collections touchent toutes les couches sociales, du pull chamarré déposé sur les épaules tendance Auteuil-Neuilly-Passy, à la génération training-casquette-sacoche en bandouillère. Vingt ans après sa mort, le crocodile est plus vivant que jamais. Sur et en dehors des courts.